Le Chant du monstre n° 4

Avec ce numéro 4, Le Chant du monstre, renouvelle son apparence en intégrant la maison d’édition sun/sun, tout en maintenant sa ligne éditoriale par définition liée à l’hybride et au disparate.

 

Le format allongé de la revue, comme ses rubriques déjà éprouvées lors des précédentes livraisons demeurent des constantes ; en couverture, une bouche largement ouverte accueille toujours le lecteur, mais deux nouveaux graphistes (Alexandre Rivault et Gildas Secretin) ont fait évoluer la maquette initiale. On découvre leur univers visuel et musical à travers quelques « fresques » intitulées WOTWS : Miami Beach, New York, les abords du Rockefeller center, Long Island, les Velvet Underground, Warhol, Lou Reed et cette voix qui chante d’outre tombe : « he-ro-in ! »… Côté dessins, pourquoi ne pas se laisser lentement glisser dans l’humour désespéré du coréen Daehyun Kim et rêver de ces ballons noirs hameçonnés au corps qui nous rendraient la légèreté si facilement accessible. Il faudrait en effet pouvoir se débarrasser de soi de temps en temps, comme on lâche dans les airs un ballon de baudruche : apprécier l’envol et se perdre de vue.

 

La gamme colorée de la revue (noir, bronze, sang de boeuf, ocre, gris…), ses multiples recherches d’effets (divers motifs décoratifs, moirures…), tout signale une sophistication baroque, peut-être en quête d’un « mauvais goût » pour une publication qui aspire aux mauvais genres ou à la fréquentation des déclassés des belles lettres. Réussite ? Peut-on totalement réussir un monstre ?

 

 

Penchons-nous plutôt sur la bouche d’ombre.

 

Pour ce nouveau départ, Le Chant du monstre souligne d’abord l’exemplarité de la trajectoire du Nouvel Attila, à commencer par la revue née en 2004. Le très instructif témoignage de Benoît Virot, qui devient éditeur à partir de 2007 avec Gog de Papini (premier lauréat en 2005 du nouveau prix Nocturne), présente aussi l’avantage de faire quelques rappels toujours utiles.

 

Sur les revues : «  Si aujourd’hui,  il est possible de trouver des écoles et des formations pour à-peu-près tout, journalisme, édition, écriture, il n’existe pas encore de formation de ‘revue -iste’ »

 

Sur la fragilité de certaines bonnes plumes : « les auteurs comme Bove, Guérin, Gadenne tombent dans l’oubli tous les vingt ans et ne se retransmettent que de cette façon, grâce aux défricheurs de la génération suivante ».

 

A l’instar de Benoît Virot, les trois animatrices du Chant du monstre sont à juste titre convaincues de l’importance décisive du travail des librairies pour la diffusion du non-conventionnel, du non-formaté, de tout ce qui ne ressemble pas à un produit au succès prévisible, parce que le miroir tendu fait dresser les cheveux sur la tête du premier Narcisse venu.

 

D’où un second salut : elles l’adressent cette fois à l’un des passeurs de la librairie collective Charybde, rue de Charenton dans le XIIème arrondissement de Paris. Les indications bibliographiques de Hughes Robert ouvre un territoire, celui de la SFFF (Science-Fiction/ Fantasy/ Fantastique). Connaissez-vous Jérôme Leroy, Iain Banks, Alain Damasio, Cory Doctorow, Catherine Dufour, China Miéville ou Charles Stross ? Les enfants de Ballard ou de Lovecraft sont légion et ne manquent décidément pas de talents, d’après leur laudateur.

 

Si on peut se faire une première idée du catalogue du Nouvel Attila par l’anthologie faisant suite au témoignage de son « grand timonier et créateur » (d’après le site de ses éditions), la rubrique « Ex-qui ? » consacré à Jean Forton (1930-1982) et à son Enfant roi satisfait encore davantage la curiosité du lecteur amateur de résurrection littéraire. Rappelons au passage que cet écrivain bordelais fonde, alors qu’il a vingt ans, la revue La Boîte à clous. L’Enfant roi formule, d’une écriture presque essoufflée à force de précision, sa haine pour son père et, différemment, pour sa mère, notamment lorsque cette dernière l’oblige à lui peindre des fruits dans un compotier, ce qui le met en rage contre l’insensibilité des choses mortes. Ce roman est resté inédit jusqu’à sa parution en 1995 par les soins du Dilettante, parce que Gallimard en refuse le manuscrit en 1969, ce qui écoeure Jean Forton de la vie littéraire comme de l’écriture. Beau gâchis !

 

La revue s’achève avec bonheur sur de larges extraits, d’une fascinante brutalité, de la pièce que compose actuellement Alban Lefranc à l’intention de la compagnie Le Menteur volontaire de Laurent Brethome. Remettant en scène, dans un tout autre contexte, l’installation du régime de terreur hitlérien, La Mèche est une parabole sur un « grand tueur ». Farce sombre, l’auteur de Fassbinder. La mort en fanfare y campe, entre autres, Ernst Röhm, le co-fondateur des SA alias Romi, en tyran vulgaire, amateur de coups, de corps sacrifiés, de soumission totale et de la belle mèche de celui qui l’assassinera lors de la Nuit des longs couteaux (1934).

 

Nous y sommes. On entend distinctement le chant du monstre.

 

Jérôme Duwa