Papier machine à la Trappe

 

Au moment où paraissent ces lignes sur Papier Machine 2, la sortie de son n° 3 est imminente; c’est dire si ce compte-rendu arrive juste à temps. Pour son deuxième opus, cette revue gentiment foutraque et foisonnante, qui nous vient de Bruxelles, a jeté son dévolu sur le mot « trappe ». Elle a fait plancher une quarantaine de contributeurs, rien que ça, les uns écrivant, les autres dessinant (Aurélia Deschamps, Martin Wautié, Jonathan Blezard…) et d’autres encore tâtant de l’objectif (Grégory Voivenel, Marine Dricot…). Précisons d’emblée que si Papier Machine indique un cap à suivre, la direction laisse chacun libre de suivre son chemin. Disons qu’à chaque fois la polysémie du mot choisi pour l’occasion infuse tout un numéro. Pour vous présenter le contenu d’icelui, le mieux est encore de braquer le projecteur sur nos coups de cœur. Dans l’ordre d’apparition, citons d’abord le texte de Lucie Combes aussi vertigineux qu’extravagant (sur le mode : « dans chaque chose une nouvelle chose, plus on fouille, plus on ouvre de perspectives » ; façon de dire que les trappes sont comme les poupées russes, elles ouvrent sur l’infini). Dans « Petite Méthode pour tromper l’ennui à l’aéroport de Roissy », Éric Chauvier fait preuve d’un grand sens de l’observation (et de l’orientation) pour dégager les logiques de circulation et d’attente dans un terminal, cet espace qui n’est jamais qu’un sas (une trappe de transit, si l’on veut), un « lieu éthéré », dit joliment et justement l’intéressé. Mario Bompart s’envole, lui, pour le Canada, où il côtoie les trappeurs québécois, alors que Francis Tabouret tente l’ascension du point culminant de l’Île-de-France, qui domine, maintenant vous le savez pour un futur Trivial Poursuit, la ville de Trappes. Spécialiste de rhétorique, Francesca Mambelli signe quant à elle un essai subtil sur le rapport d’analogie qu’entretiennent bouche et trappe (« Comme la bouche, la trappe est une cavité qui s’ouvre dans les moments les plus inattendus, un trou dans lequel les choses tombent et disparaissent de la vue. La trappe est une bouche ouverte à la surface de la terre, à un endroit où la nature ne l’avait pas prévu »). Citons encore, avec Benjamin Leclerq comme moniteur de plongée, une descente en eaux profondes, celles d’Instagram, cette plateforme qui engrange et agrège images sur images, dans un flux continu qu’alimentent déjà quelque 300 millions d’utilisateurs dans le monde. Un témoignage immersif, comme on dit, qui a tout de l’étude sociologique buissonnière. Pour finir, signalons la touchante évocation, par Clément Boileau, de Camille Lepage, cette apprentie photoreporter tuée en Centrafrique l’année dernière, dans des circonstances encore troubles. Son jeune confrère lui érige modestement une stèle avant que son nom ne disparaisse dans cette trappe sans fond qu’est l’oubli… Voilà donc quelques exemples tirés d’un ensemble hétéroclite et truffé, on l’aura compris, de chausse-trappes réels ou imaginaires. Une revue qui, fond et forme, n’est pas sans rappeler, s’il faut lui trouver des cousinages, Le Tigre ou Décapage.

 

Anthony Dufraisse