Tous urbains : « L’Urbicide »

Tous urbains tient de la revue et du bulletin d’orientation et d’intervention. Éditée par les PUF, dirigée par Olivier Mongin, la publication émane de l’association éponyme, sise à Lyon. Le numéro s’ouvre sur une charte délimitant les enjeux actuels de la réflexion et de l’étude attentive du fait urbain, désormais majoritaire sur la planète. Comment se manifeste la « mondialisation urbaine » ? Comment habiter ces nouvelles villes ? Comment inventer un nouvel urbanisme et, enfin, « de quelle ville veut-on vraiment parler » ?

 

Approche sociologique, politique, géographique, historique : nous sommes bien en ce lieu-carrefour qu’a toujours été la question urbaine. Les contributions sont brèves, informées et s’adressent à tous : spécialistes, citoyens, décideurs, étudiants. Cette efficacité est une des grandes qualités d’une publication qui demeure cependant trop confidentielle au regard du sujet brûlant qu’elle traite.

 

 

À preuve : le dossier sur l’urbicide paru dans le nsup>o 11 de septembre 2015, au moment où Palmyre était aux mains du groupe djihadiste dit « état islamique ». « Les tyrans n’aiment pas les villes et […] ils s’acharnent à les faire disparaître sous les ruines », lance Olivier Mongin. La ville en effet, et en particulier en Europe, fut l’espace même de l’émancipation et de la démocratie. Le meurtre d’une ville, l’urbicide, constitue donc bien une catégorie en soi. La glaciation du territoire urbain de nos démocraties en « état d’urgence » doit nous alerter : les manifestants d’Occupy Wall Street ou de la Nuit debout, ceux de la place Tahrir comme de Maïdan rappellent l’importance, à l’ère numérique, du rôle de la place publique.

 

Véronique Nahoum-Grappe, poursuivant sa réflexion sur Vukovar et Sarajevo, revient en détail sur la notion d’urbicide, terme forgé par Bogdan Bogdanovic pendant la guerre en ex-Yougoslavie. Leïla Vignal présente de son côté les destructions commises en Syrie. Gabriel Martinez Gros évoque ce qui devrait n’être qu’un pléonasme, la « destruction de ruines ». Ce court article est d’autant plus fort, son acuité est d’autant plus grande qu’il a été écrit avant les destructions du site de Palmyre et le sauvage assassinat de l’archéologue Khaled Assaad qui fut durant cinquante ans le gardien de ces ruines.

 

Effacement des signes, perte du sens ne sont pas seulement le fait des bombes. Sans constituer un urbicide, certains changements de la nature de l’urbain peuvent aboutir à une dissolution, une liquéfaction de la ville. Le Bras et Todd ont décrit ce phénomène dans Le Mystère français, et l’on connaît ses répercussions électorales. Jacques Donzelot étudie l’exemple de Carpentras dans une brève étude qui vient clore le dossier. Le numéro propose aussi un entretien avec Marc Desportes – à propos de ses travaux sur le lien entre moyens de transport et perception de l’espace –, ainsi que des éditos des membres du collectif éditorial. Avant d’aller voir In Jackson Heights, le dernier film de Frederick Wiseman, on lira avec profit la contribution de Cynthia Ghorra-Gobin sur la citoyenneté diasporique à l’heure de l’intermétropolisation.

 

Revue, bulletin d’action et d’intervention, Tous urbains est une énergique incitation à penser et à pratiquer la ville d’aujourd’hui.

 

François Bordes