Des visages, des figures : La Moitié du fourbi n° 3

Buste d’Antinoüs, Musée national d’archéologie d’Athènes

 

Un thème traverse cette nouvelle livraison : le phénomène étrange qui (dé-)lie visage et mémoire, qui rend difficile le fait de fixer en esprit les traits d’une personne. Ce phénomène n’échappe pas aux artistes, aux écrivains.

 

On trouvera plutôt ici des portraits, inscrits dans l’histoire – le Fayoum, par deux fois, une mosaïque romaine (le magnifique « Combien ça dure un visage » de Sylvain Pattieu), les statues d’Antinoüs ; les portraits mortuaires de Pancho Villa (Sylvain Prudhomme) ou de trois marins morts sur l’île Beechey en 1846, exhumés en 1984 ; les portraits robots et/ou administratifs (« The Composites » de Brian Joseph Davies, « Visages de la loi » de Hugues Leroy) ; catégorisés, des visages par Frank Smith* ; et même une « Sans-visage aux saxifrages ». Jean Genet est présent : une photo de Pilorge dans le journal est le point de départ du « Dernier Visage », de Frédéric Fiolof, directeur de la publication. Peter Lorre se terre dans quelques pages.

 

Les plasticiens ne sont pas en reste : une typographie oulipienne, de la terre qui recouvre dans le travail impressionnant d’Olivier de Sagazan, commenté par Romain Verger (mais comment respire-t-il ?). Ce qui renvoie au masque, autre thème possible pour tourner encore autour de ce visage décidément insaisissable. Des surfaces, papier-toiles (peinture, cinéma), photographies (jusqu’à « Envisager le selfie » ! avec Agathe Lichtenstejn, graphiste et doctorante en esthétique), écrans, sculpture, terre. Depuis la Terre, plus loin encore : Alessandro Mercuri (qui, entre autres terrains de création, co-dirige la revue ParisLike) nous propose une « Paréidolie martienne ».

 

Et Antoni Casa Ros nous livre une belle leçon de littérature qui commence ainsi : « Refuser d’avoir un visage à montrer, c’est explorer plus en profondeur les trois couches superposées d’un vrai visage. » Et, après avoir longuement plagié Dante, cité Léonard de Vinci et évoqué Sengai, se termine sur « les strates infinies du réel ».

 

Yannick Kéravec

 

* extraits d’un livre à paraître aux éditions Plaine Page (avril 2016) et film commandé par le Centre Pompidou dans le cadre du festival Hors Pistes (mai 2016).