Avant-Demain

Revue littéraire de l’emploi et de la formation de jeunes

par José M. Ruiz-Funes
1999, in La Revue des revues n° 27

La couverture du premier numéro est on ne peut plus sobre : un A4 tout blanc, une typo sans fantaisie en gros caractères noirs sur deux lignes séparées d’un petit tiret rouge, signale Avant-Demain ; sur une troisième ligne, dans un corps beaucoup plus petit et aussi en rouge, on lit : « Revue littéraire de l’emploi et de la formation de jeunes ». Sur la quatrième de couverture, l’explicitation de l’origine : Groupe d’intervention théâtrale et cinématographique (GITHEC). On se dit : ça, ce sont des gens qui non pas peur des mots. On perçoit une sorte d’urgence mêlée de détermination (groupe d’intervention !), mais aussi une effronterie qui n’hésite pas à accoler des mots dont la combinaison peut paraître improbable (littérature-formation-emploi-jeune).
On feuillette : un entretien, un article, mais, pour la plupart, des textes plus ou moins brefs presque tous signés d’un simple prénom (Jamila, Anna Maria, Souleimana…) ou identifiés comme « anonymes ». Bien sûr, il y a un éditorial : « N’importe quel journaliste de télévision peut écrire “sur sa petite enfance, sa puberté, son âge mûr”, trouver un éditeur et des oreilles bienveillantes, mais ceux qui ne savent ni lire ni écrire, ceux qui font trop de fautes d’orthographe, ceux qui parlent mal le français, ceux qui jamais n’auraient tenu un stylo si on ne leur avait proposé une feuille blanche, ceux pour qui l’écriture ne sert qu’à remplir un formulaire administratif et se trouve alors au plus loin d’eux-mêmes, pour ceux-là, nous ne pensons qu’il puisse être question de littérature, qu’il puisse y avoir quelque chose à lire. Et pourtant. […] Avant-Demain se bornera à publier les textes issus des ateliers d’écriture du GITHEC. […] Leurs auteurs sont souvent le sujet des discours, ils sont les jeunes sans travail, les étrangers, les montrés du doigt, et parce que c’est toujours trop long d’apprendre à parler la langue des autres ; ils sont pris, cachés, dans le grand boucan de l’exclusion sociale, dans les mots des autres. Avant-Demain s’attachera simplement à accueillir leurs mots, les sortir de l’ombre puis les porter à la lecture. » Maintenant c’est une évidence : ces gens n’ont pas peur des mots, ni des leurs ni de ceux des autres.
Le numéro deux s’est fait attendre bien au-delà de la périodicité trimestrielle annoncée. Finalement, en octobre 1998, il est là et les améliorations apportées (un meilleur papier, quelques photos çà et là dont deux égaillant la première et la quatrième de couverture) prouvent que, si difficultés il y a eu, la détermination reste intacte. On sait désormais qu’Avant-Demain n’est que la partie émergée du travail du GITHEC, association loi 1901 installée à Pantin, un centre de formation spécialisé dans l’animation de stages pratiques artistiques et d’ateliers adressés surtout aux jeunes en difficulté qui s’est « donné pour mission de réaliser des œuvres de création [théâtrales, littéraires ou cinématographiques] avec et en direction des gens privés d’accès à la culture [c’est nous qui soulignons] ». Le contenu de la revue reste identique, quoique le sous-titre percutant du premier numéro ait été remplacé par celui, plus convenu, de « revue littéraire ».
Un seul et même geste préside chacune des cinquante pages qui le composent : accueillir la parole de l’autre non pour lui faire dire ce que l’on pense qu’il devrait exprimer, mais en le laissant dire – avec ses mots à lui et à nul autre, ces mots qu’il s’approprie peut-être pour la première fois et qu’à cause de cela, acquièrent une force inouïe – ce qu’il a à exprimer. Et on lit tout ce qu’on trouve sur notre passage (agrémenté par un entretien avec le philosophe et sociologue Maurizio Lazzarato et deux ou trois nouvelles rubriques) avec une attention extrême, comme si plus rien ne s’interposait entre nous et cet autre – jeune exclu, jeune étranger, jeune exilé, jeune laissé pour compte – dont on parle tant sans jamais en être vraiment à l’écoute.


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