Bleecker Street

par Anthony Dufraisse
2005, in La Revue des revues n° 37

Attendant au courrier cette revue titrée Bleecker Street, je me faisais intérieurement une fête de retrouver Holmes et son acolyte de médecin, Watson. Je me méprenais évidemment, confondant grossièrement Bleecker et Baker Street. Une fois la revue en main, la confusion n’était plus permise. Ici nous ne sommes pas dans le Londres victorien, mais à New York. Serait-ce alors une revue consacrée à la Grande Pomme ? Pas davantage. Au vrai, nous ne sommes pas n’importe où à New York : « Bleecker Street, à Manhattan, mène partout et ailleurs. Greenwich Village, le quartier au nom de méridien, est le contraire du “village global”. De soi à soi en passant par le plus lointain, entre-temps la terre a tourné et celui que l’on retrouve est devenu un autre ». L’intérêt que les éditions Dumerchez portent à cette fameuse artère de Manhattan n’est évidemment pas touristique mais bel et bien métaphorique. Ce disant, cette revue est à considérer comme un point d’ancrage temporaire avant de reprendre son chemin, comme un lieu de passage. Contributeurs et rédacteur en chef, nous avertit-on d’entrée, se passeront ainsi le relais d’un numéro sur l’autre (tout au plus il y en aura deux par année). Voilà donc une revue, plaque proprement tournante d’individualités, qui ne vise pas à fonder ni moins encore à défendre quelque idéologie que ce soit ou « visées préétablies », mais qui bien plutôt invite à la flânerie intellectuelle. En ces pages fort élégamment maquettées, on se livre en effet à un drôle de trafic : on s’y échange « un savoir d’atelier – concret, éprouvé, recuit dans l’exercice de [tel ou tel] art ». Il était dès lors tout indiqué que le maître d’œuvre consciencieux de ce premier (double) numéro soit Marc Petit, touche-à-tout de talent que titille à peu près tout. Lui qu’on savait romancier, poète, essayiste, conteur, traducteur de l’allemand à certaines heures, est par ailleurs grand amateur de masques. De par ses vies, ses envies et activités multiples, il est plus que d’autres sans doute sensible aux notions de dédoublement, d’apparence, d’identité. Toutes notions qui font question dès lors qu’on s’avise de parler des masques et des figures, thème inaugural pour cette première. Sur le berceau de Bleecker Street se sont ainsi penchés les affidés de Marc Petit, tous prêts à tomber le masque ou tout au contraire l’ajustant pour se mieux dissimuler. Des poètes, des écrivains, des artistes de toutes sortes, sculpteurs, peintres, gens de théâtre, des philosophes, des collectionneurs, bref toute une bande de joyeux drilles étrillent en tout sens cette thématique. Rédacteur en chef d’un jour, Marc Petit a battu le rappel autour de cet intérêt commun : photographies et entretiens, prose en tout genre et dessins, ils sont une petite trentaine à apporter leur contribution. Théorique ou pratique, cette revue est parfois l’une, parfois l’autre, et souvent les deux à la fois. Car plus peut-être que tout autre objet de connaissance, les masques invitent à ce genre de croisements, surface de projection de nos imaginaires qu’ils sont. Quant à cette revue réfléchie et réflexive, à n’en pas douter, elle est appelée elle aussi à devenir l’écran de toutes les curiosités.


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