Chef-lieu

par Anne Darenne
1993, in La Revue des revues no 15

C’est une fraîche livraison de littérature en provenance d’un haut lieu de l’écriture : Cognac et Le Temps qu’il fait. Leur objet, la littérature bridée par son désir d’éternité ou son difficile rapport à la réalité. De l’inédit, de l’inattendu ou des oeuvres en cours d’auteurs plus connus « qui épauleront les obscurs » afin que circule « le sang d’une littérature vivante »…
Ralentir, travaux, c’est un peu le chantier d’une littérature en perpétuelle construction qui mêle « La grande course » d’écrivains célèbres en compétition pour leur pérennité à l’horreur de la douleur et de l’humiliation du « Dos cassé » ; c’est encore le désir de l’Ange féminin gravissant les « Marches d’un escalier » ou bien la mémoire du Facteur Cheval qui édifie son univers entre minéral et astral, homme cavernicole devenu bâtisseur de lumière, « L’homme en marche ». Puis on revisite la création avec une fantaisie de Puce-Univers: « Et Dieu créa la puce. » Baptiste-Marrey rend hommage à « Trois musiciens français » dans des poèmes tendres et filiaux. Cette rubrique s’achève sur un très beau poème de Gilles Ortlieb, « El », célébrant l’angoisse de l’attente inhérente à l’amour.
Visite d’atelier nous entraîne dans celui de Xavier Valls et nous offre trois reproductions.
Luc Dietrich et ses « Pages retrouvées » nous disent la naissance de la forme dans l’oeuvre humaine lorsque, dégagée de la matière, elle rejoint la lumière.
La dent de la rancune nous présente Vincenzo Consolo insurgé contre la politique éditorialiste d’aujourd’hui, qui évince tout ce que sa logique mercantile ne peut ingérer, tout cet irréductible littéraire.
« Chroniques sentimentales » évoque Louis Althusser, avec Christian Bobin qui signe un beau texte pudique et sensible, et « Pierre Jean Jouve en Jack l’éventreur » que François Boddaert déshabille pour ne laisser paraître que l’étonnante contradiction d’un homme hanté par la chair et l’éternité.
Chef-lieu comme l’écrivent les éditeurs, c’est très provincial, décalé et pourtant central, c’est pourquoi on leur souhaite de belles saisons sur les terrasses des bords de la Charente.


Partager cet article