Éditorial

par Olivier Corpet
1986, in La Revue des revues n° 2

La publication de ce deuxième numéro de La Revue des revues correspond à une nouvelle étape dans le développement des activités d’Ent’revues. En effet, cette opération (presque) tous azimuths en faveur des revues lancée au début de l’année 1986, s’était mise en branle non pas dans le désordre ou l’improvisation mais, disons, dans une certaine précipitation : pour profiter d’une conjoncture favorable, aux revues j’entends, et qui n’était pas sûre de le rester longtemps ; pour saisir une chance (largement offerte, répétons-le, par la Direction du livre et de la lecture) de sortir des habituelles récriminations des revues vis à vis, qui de libraires pas toujours accueillants, qui de bibliothécaires peu curieux, qui d’abonnés insuffisamment fidèles, qui encore de pouvoirs publics peu compréhensifs et trop à cheval sur des règlements inadaptés , somme toute pour tenter d’élargir l’espace vital des revues. Tâche d’autant plus urgente qu’au moment où nombreux sont ceux qui se pâment de plaisir aux seuls mots de « communication », de « stratégies multimédia » ou de « révolution informationnelle », les revues, elles, ont de plus en plus de mal à être prises en considération, et leur travail au sérieux.
Dépassées les revues ? Si nous en étions définitivement convaincus, tout l’effort d’Ent’revues serait vain, voué à l’échec. Mieux vaudrait alors jeter tout de suite l’éponge. Telle n’est pourtant pas notre conviction. Certes, dans les transformations profondes qui affectent aujourd’hui les mondes de la presse et de l’édition, les revues n’ont guère les moyens, ni l’envie d’ailleurs, de fanfaronner. Tout simplement, nombre d’entre elles manifestent une volonté tenace, têtue, de résister aux laminages d’une modernité trop pressée d’en finir avec ces lieux de création . Leur « rendement », si je peux me permettre d’employer cette affreuse expression, leur rendement est exceptionnel, incomparable. Là plus qu’ailleurs, la qualité supplante, et de beaucoup, la quantité ; et avec leurs tirages souvent impressionnants, comparés à ceux combien plus modestes des revues, les magazines sont loin de pouvoir en dire autant. Et que serait l’édition de livres sans la course en éclaireur des revues ?
C’est fort de cette assurance, pardon : de cette arrogance que nous autorise l’histoire des revues, qu’il faut répéter ici, à l’adresse de ceux qui ont pu s’étonner de la démarche d’Ent’revues – inscrite jusque dans l’économie éditoriale de cette Revue des revues – qu’il n’y a pas pour nous de promotion véritable, efficace, des revues si, dans le même geste, n’est pas engagé ou poursuivi un travail en profondeur de dévoilement et d’analyse du rôle des revues dans un passé plus ou moins proche. D’où notre volonté de lier, sans les confondre, politique
de promotion et politique de patrimoine. C’est cet objectif ambitieux et difficile qu’on a cherché à traduire dans cette manifestation d’ampleur nationale, la première du genre : la Quinzaine de la revue organisée en collaboration avec des libraires et des bibliothécaires. Expositions et débats sur les revues « anciennes » (par exemple celles des années 30 ou des années de guerre comme Confluences) et présentations de revues « vivantes » se succéderont (voir par ailleurs le programme détaillé de cette Quinzaine). Une précision : pour cette Quinzaine, à une manifestation unique et spectaculaire, nous avons préféré une sélection d’une bonne cinquantaine d’initiatives décentralisées, ponctuelles, chacune bien spécifique, se déroulant dans des librairies et des bibliothèques, c’est-à-dire à portée de main et de regard des amateurs de revues.
Sans préjuger des effets à court et moyen terme de cette Quinzaine, d’ores et déjà l’intérêt, voire l’enthousiasme de la plupart des libraires et bibliothécaires qui s’y sont associés, devraient témoigner aux yeux des revues que le monde extérieur ne leur est pas toujours hostile ou indifférent. A elles désormais, si elles le veulent, si elles le peuvent, d’en profiter. Signalons enfin, pour avoir vertement critiqué dans le rapport Pour une politique des revues (La Revue des revues no 1) l’insuffisante formation des bibliothécaires sur la question des revues, qu’un des moments forts de cette Quinzaine, même si ce n’est pas le plus « grand public », sera pour nous la journée d’étude sur « la place des revues dans la création et l’information », qui aura lieu à l’École nationale supérieure des bibliothécaires, le 6 novembre prochain à Villeurbanne.
Cette Quinzaine n’est donc pas une fin, tout juste une étape. Et dans les mois à venir, l’action d’Ent’revues compte se consolider et se diversifier. Se consolider en particulier grâce à la publication, en complément de cette Revue des revues, de La Lettre d’Ent’revues dont la parution beaucoup plus fréquente en fera un instrument d’information pratique, inter-actif comme on dit aujourd’hui, entre tous les membres du Réseau Ent’revues, devant ainsi leur permettre de suivre au plus près la vie des revues. Deuxièmement, se diversifier : notamment sur le plan international, en particulier européen, en cherchant à établir des relations continues avec tous les individus et les groupes travaillant dans les mêmes directions que nous, avec des préoccupations proches.
La création d’Ent’revues a d’ailleurs suscité à l’étranger un intérêt que nous comptons bien transformer dès que possible en projets de collaboration et d’échanges. Plusieurs projets de rencontres de revues (théâtre, musique, culture générale) sont en préparation et seront annoncés dans La Lettre d’Ent’revues. Avec, au passage, l’espoir que les revues françaises, trop souvent enfermées, étouffées dans leur carcan hexagonal, sinon local, sauront, beaucoup plus qu’elles ne l’ont fait jusqu’à présent, s’adapter à cette ouverture considérable et nécessaire de leur espace vital.
L’autre dimension importante de l’activité d’Ent’revues ces prochains temps, sera la tentative, ô combien périlleuse, d’établir, à l’usage des librairies, des bibliothèques et des revues elles-même, un système d’information sur les revues existantes, qui soit tout à la fois facile de consultation, peu coûteux et surtout utile parce que régulièrement mis à jour et enrichi. Nous en reparlerons, mais déjà toutes les suggestions, propositions et collaborations seront les bienvenues.
Enfin, en ce qui concerne La Revue des revues, nous préparons pour les prochains numéros des dossiers sur les revues de psychanalyse, de cinéma et d’art, ainsi que des chroniques sur la situation des revues dans d’autres pays : USA, Allemagne, Espagne, Angleterre,…
Au fûr et à mesure que nous progressons, fût-ce, j’en conviens, à petits pas, dans l’exploration de l’univers des revues, de nouvelles questions apparaissent. Souhaitons que cette Quinzaine de la revue et ce nouveau numéro de La Revue des revues incitent tous les acteurs de la vie des revues à s’en saisir.

O.C.

« Je ne pense pas qu’un livre, même court, remplace la parution en revue, et inversement. Le livre suppose un tête-à-tête avec le lecteur. La revue, c’est un banquet à plusieurs convives. La voix ne circule pas de la même manière ». Emmanuel Hocquard, Raquel, Orange Export Ltd. 1969-1986. Paris : Flammarion, 1986.


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