Graff’It

par José M. Ruiz-Funes
2002, in La Revue des revues no 31

On n’a pas souvent l’occasion, dans ces pages, de rendre compte d’une nouvelle publication dans laquelle on peut lire en guise d’avertissement : « La rédaction, par les textes et les images présentés, rappelle à ses lecteurs que [cette revue] n’a aucune volonté d’inciter à la dégradation et au vandalisme. » Cela d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une énième et belliqueuse déclaration d’intentions, mais d’une note figurant dans l’ours où sont également évoqués les articles du Code pénal réprimant « les dégradations et détériorations des biens par des inscriptions, tags et graffs sans autorisation préalable sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain ».
On l’aura compris : si GRAFF IT ! Langages de rue estime nécessaire de se prémunir contre ceux qui chercheraient à l’accuser d’inciter au vandalisme, c’est parce qu’elle se donne pour tâche de faire (re)connaître, au-delà du cercle des initiés, le monde, à la réputation controversée, de la peinture des rues sous toutes ses déclinaisons (tags, graffs, chromes, fresques…) et supports (murs, trains, stores, camions, toits…).
À la vue du résultat – un volume souple au format italien d’une quadrichromie presque somptueuse – on ne peut que féliciter les responsables d’une telle initiative, connaisseurs de longue date du milieu du graffiti. C’est ainsi que la nouvelle revue s’affiche comme la vitrine élégante et grand public du magazine spécialisé du même titre, une « publication underground » trimestrielle paraissant depuis 1995 entièrement consacrée au graffiti et aux manifestations artistiques associées (BD, danse, musique, graphisme…). À ce propos, il est intéressant de constater que si, du côté rédactionnel, le passage de l’« underground » à, disons, une certaine « respectabilité culturelle » n’est pas encore entièrement réussi (amateurisme de certains textes, manque de distance critique), l’objet qui en résulte est, lui, tout à fait étonnant. En effet, l’enchaînement dans des doubles pages soigneusement maquettées de cet amas bariolé de dessins, lettres, graphèmes, traits, traces, inscriptions, mots, signatures, que tout un chacun voit – sans les lire – dans sa vie la plus quotidienne, finit par produire un certain vertige. Car ces milliers de signes, isolés de leur contexte et enchevêtrés sur le papier glacé, viennent à rassembler aux lexies imprononçables d’un texte aléatoire, éphémère et changeant qui, à l’insu de tout le monde et écrit par des milliers de mains, se déploierait et s’effacerait tous les jours autour de nous. Et comme tout texte, celui-ci doit bien aussi vouloir dire quelque chose.


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