Kanyar

par Jérôme Duwa
2014, in La Revue des revues no 51

Courant juillet ou août, la formule peut légitimement fuser, tout du moins les bonnes années : « Quel kanyar ! » Mais il est douteux que si d’aventure on l’écrivait, on opterait spontanément pour cette orthographe réunionnaise. Que signifie au juste ce kanyar-là ?

On le découvre mis en situation dès la première nouvelle de cette revue, dont la maquette est tout à fait réussie : « Soixante kanyar somnolents au regard vaguement menaçant s’étaient réveillés, d’un seul bloc. Un bon point, avait d’abord pensé Lando, ils étaient venus, ils étaient là. » Le glossaire opportunément placé à la fin du récit précise pour le profane qu’un kanyar désigne en créole un vaurien, mi-paresseux, mi-voyou.

S’il renvoie à une réalité sociale repérable à La Réunion, il ne faudrait cependant pas confondre cette revue avec un organe explorant de manière exclusive ce DROM (Département et région d’outre-mer), comme on dit maintenant, de l’océan indien. Disons plutôt que l’île constitue le centre ou, pour faire plus couleur locale, le Chaudron, dans lequel cette revue mijote sous l’œil d’André Pangrani, à la fois directeur et auteur de deux textes dans ce numéro. Ses diverses expériences personnelles dans le domaine du livre, comme éditeur, scénariste de bandes dessinées ou rédacteur en chef de magazine transparaissent dans l’évidente qualité éditoriale de Kanyar et sans doute aussi dans le succès rencontré par cette première livraison tirée à 1 000 exemplaires. Comment caractériser au juste l’ambition de cette revue ?

Elle tient peut-être dans son sous-titre : « On vous raconte des histoires ». Naturellement, cela peut s’entendre comme un avertissement ou un programme. L’ère du soupçon est derrière nous. Kanyar aborde sans prévention aux terres multiples de la fiction, c’est-à-dire qu’elle entend satisfaire autant que possible notre insatiable désir d’histoires avec une pointe de critique sociale. On ne cherchera donc pas ici de rubriques ou de fil directeur thématique. En revanche, on pourra y lire des nouvelles inédites, parfois attachantes. Citons, par exemple, le récit d’ouverture d’Emmanuel Genvrin, Tulé ! Tulé !, qui esquisse le portrait d’un jeune kanyar, dont le destin bascule lors d’un séjour à Madagascar organisé dans le cadre politiquement correct d’une mission de solidarité.

On retrouve une autre trajectoire marquée par la violence dans le récit Les Garçons d’Edward Roux. Après une rencontre avec Jésus en chair et en os dans Le Pouvoir de Cordélia de Xavier Marotte et une descente du fleuve Congo entre un prophète et Miss Équateur (Olivier Appollodorus), le lecteur s’abandonne avec plaisir à la densité végétale que dégage le texte de Cécile Antoir : Chambre verte. Laissons-nous prendre : « Il est trop tard pour s’extraire de cette clairière, j’ai trop d’air, trop de mousse, trop de feuilles dans le corps ». L’auteur fait partie des écrivains qu’on peut retrouver au sommaire de Kanyar no 2, lequel a paru en novembre 2013, sous une couverture très efficace de Conrad Botes.


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