Revers

par Elvire Lilienfeld
2013, in La Revue des revues n° 49

La revue Revers, dont on attend effectivement qu’elle nous prenne à rebrousse-poil, s’annonce comme une revue engagée. C’est l’espace commun, le vivre-ensemble, la cité, les rapports sociaux, qu’elle traverse et travaille. Son projet relève du politique, puisqu’elle ne veut plus « laisser passer », comme l’affirme la première phrase du manifeste des fondateurs – manifeste et ligne éditoriale sont consultables sur le site Internet de la revue. Et il est alléchant, ce projet. La réalisation est en adéquation : maquette claire et sobre, en noir et blanc, avec un design graphique soigné – bien que la police soit un peu petite, mais je vieillis –, mise en page claire, hiérarchisation nette, pas d’affèterie, rien en trop. Deux carnets séparés, reliés par un élastique, à la fois soudés et indépendants, l’un pour le thème du numéro, l’autre pour les rubriques sur des sujets libres, composent l’ensemble de la revue. L’on traite ici de tout ce qui fait la modernité et notre quotidien : qu’est-ce qu’être libéral, la mobilité dans les villes, la guerre en Syrie… Pas d’approche immédiate – celle-ci est même totalement proscrite –, mais avec une distance qui lui confère son intérêt. Sans être pour autant un objet dénué de passions – c’était le risque –, puisque la base de la rédaction est la « réaction », pour « ne plus être indifférent ». D’où les formes multiples d’interpellation au lecteur : de manière frontale, comme dans l’article « L’homme libéral », ou plus poétique, avec le « Carnet du camion », uniquement dessiné, et pour ne prendre que ces deux exemples. J’aurai pu parler de l’interview édifiante, brute et sans commentaire, d’un politique et d’un architecte, acteurs d’une nouvelle gare dans le projet du Grand Paris, dans l’article « Gare à vous ». Je préfère n’en rien faire, et conseiller d’aller la lire.
Mon regret concerne le genre du pamphlet, que je m’attendais à trouver en bonne place dans la revue. Il était annoncé dans le manifeste comme l’une des formes proposées dans les pages de la revue, l’attente était légitime. Je comptais donc avoir sous les yeux au moins une (voire plusieurs !) vociférations, écrites sur un ton virulent et violent, dans un esprit de dénonciation tous azimuts du monde actuel. Je n’ai pas trouvé de pamphlet dans le carnet Thème. La dernière catégorie du carnet Rubriques, joliment intitulée « Dépoussiéré », propose une reprise (abrégée) des Lois scélérates de 1893-1894 de Francis de Pressensé, pamphlet dénonçant les lois liberticides votées contre les anarchistes sous la Troisième République, et paru en pleine affaire Dreyfus dans La Revue blanche. Mon pamphlet était là. D’où me venait alors cette légère déception ? Je voulais du pamphlet contemporain. J’ai eu du pamphlet de 1899. J’avais imaginé que le pamphlet reviendrait au goût du jour et composerait en grande partie la revue, dont le titre, Revers, sonnait à mes oreilles comme une promesse de Pal du xxie siècle (sans préjuger des orientations politiques). Mais je ne vais pas tenir rigueur à la revue de ne pas me donner exactement ce que j’avais imaginé avant que de la lire, elle ne s’est jamais annoncée comme ne publiant que des aboyeurs, ma déroute (sans parallèles) m’est entièrement imputable. En revanche, le parallèle (sans déroute) avec la situation contemporaine s’impose immédiatement à la lecture de Francis de Pressensé. Je l’ai, finalement, mon pamphlet d’aujourd’hui. Car, mutatis mutandis, les interrogations sur la réponse – les réponses – que la démocratie peut apporter quand elle est attaquée sur ses bases et ses principes demeurent : « Quand bien même les lois d’exception ne pourraient frapper, comme elles prétendent viser, que des anarchistes, elles n’en seraient pas moins la honte du Code parce qu’elles en violent tous les principes. » Pour une concordance des temps, il faut adapter le groupe incriminé à notre siècle : on peut ainsi remplacer le mot « anarchistes » par celui de « terroristes », et la réflexion devient d’une éclatante modernité. Cette autre, encore : « Ce n’est pas sur l’arbitraire, sur l’injustice, que l’on peut fonder la sécurité sociale ». 1899, dites-vous ?
Notre époque n’est pas à la franche gaîté, ni à l’optimisme fou. Encore moins à l’enthousiasme utopique. Mais au crédit du temps, je mettrai cette nouvelle revue.

La Revue des revues no 49


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