La Tête et les cornes

par François Bordes
2015, in La Revue des revues no 53

Dans le fragile écosystème des revues de poésie, vient d’apparaître un animal dont l’activité devrait apporter beaucoup à son biotope. Il répond au titre presque tauromachique de La Tête et les cornes. Le premier volume tient dans la poche, il ne dépasse pas 71 pages, possède un graphisme sobre ; sa robe de papier blanche et rouge est joliment imprimée au laboratoire AML de Paris. Il s’agit bien de cela : un laboratoire où économie de moyens et créativité font bon ménage. Publiée chez Z: éditions, la revue est coordonnée par trois jeunes auteurs dont on connaissait déjà les grandes qualités : Benoît Berthelier, Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes.
La revue peut se lire comme une sonate, en quatre mouvements. Le premier et le quatrième rassemblent des textes poétiques de Marie Cosnay, Marc Perrin et Marie-Hélène Renoux ainsi que des traductions de Marie-Louise Chapelle, Alan Davies et Alice Notley. Poèmes surprenants, vigoureux et secs dont la lecture à haute voix permet de saisir la densité. C’est en particulier le cas de la spirale litanique désabusante d’Alan Davies. Le troisième mouvement présente une suite de traductions de poètes coréens contemporains. Mais le moment le plus marquant de cette sonate pour têtes et cornes demeure l’entretien avec Caroline Sagot Duvauroux. Le 25 septembre dernier, la médiathèque Marguerite Audoux située dans le 3e arrondissement de la capitale accueillait l’équipe de la revue pour une présentation. L’auteur avait à cette occasion donné de ses textes une lecture saisissante de force et de justesse. L’entretien permet de revenir sur les sources et le mouvement de cette poétique agissante. Pour qui voudrait découvrir l’auteur, c’est une introduction magnifique, percutante, secouante, à une conception de la poésie qui se débarrasse de beaucoup des sacs de sable dont la poétique pense trop souvent devoir lester ses dirigeables. Cet entretien n’a rien d’un zeppelin, au contraire, c’est une montgolfière légère, mais qui voit loin. Dans la nacelle, Caroline Sagot Duvauroux converse avec Jean-Jacques Bonvin, Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes. Leur entretien en rappelle d’autres, et nous les imaginons tels les parleurs d’Allen de Larbaud, traçant des lignes dans la vitesse. La richesse de l’échange donne une idée du front poétique ouvert ici par ces auteurs engagés dans une œuvre exigeante dont le programme radical est parfaitement résumé par ces questions : « Pourquoi les herbes au bord du précipice sont-elles si audacieuses ? Pourquoi se penchent-elles ? Si j’étais quelque part, je serais tout le temps au bord d’un précipice rocheux » (p. 35). Souhaitons que de tels entretiens se poursuivent au sein de la revue car ce « tout petit front » pourrait peut-être s’avérer décisif à plusieurs égards. La tentation de l’acédie, si commune aujour-d’hui, pourrait alors être évitée. C’est bien de tels évitements dont il s’agit : « contour-ner un empêchement » dit Caroline Sagot Duvauroux en ajoutant : « Je n’y peux rien si le quotidien ne m’amuse pas tout le temps, si je ne crois pas à grand chose, alors pourquoi je ne m’en irais pas chercher des dragons et des fées dans les bois ? » Nous viendrons désormais nous promener plus souvent dans ce bosquet où la faune et la flore sont audacieuses.


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