L’Armateur

par André Chabin
1992, in La Revue des revues no 14

 La passion du cinéma les a réunis ; ils en appellent à un sursaut de la pensée critique, fustigée, aujourd’hui, pour son enlisement dans un vieux savoir incapable d’intégrer toutes les dimensions du cinéma (écriture, production, diffusion…) et toutes les nouvelles formes de l’image. Ils revendiquent avec hauteur leur vertu la plus périssable : leur jeunesse. Avec trois fois rien, sinon leur passion, ils ont fabriqué une revue, L’Armateur. Dans leur premier numéro, ils ressuscitent Luis Bunuel « provocateur et sulfureux », revisitent Jacques Becker dont les films trop célèbres occultent l’oeuvre, questionnent les dernières images d’Hervé Guibert produites pour la télévision – qui paraît d’ailleurs tenir une grande place dans leur pratique de spectateurs. S’ils dédaignent les faux événements imposés par l’actualité des salles, c’est pour s’attacher au Ciel de Paris de Michel Béna, découvrir l’oeuvre filmique de Marcel Broodthaers ou chanter les beautés du cinéma « bis ».
Aimant mordre les mots et les gens, ils ne résistent pas au plaisir des jeux de massacre : Antoine de Baecque comme Claude Bern reçoivent la bastonnade. Ils soumettent leurs textes à l’épreuve d’une mise en pages, dans l’esprit du fanzine, qui ne ménage pas toujours le confort de la lecture.
Au-delà du principe du plaisir, deux fils rouges traversent ce premier parcours : le souci éthique – ce mot donne le titre de l’article central et l’éditorial déplore la perte de « la dimension morale et réflexive que développaient les films et la critique dans les années 60-70 » – et la nostalgie de cette époque révolue, territoire de cinéma laissé sans succession.
Même si le lecteur n’a plus en partage la jeunesse des rédacteurs, il pourra se retrouver dans l’exigence d’un renouveau de la parole critique ; il attendra les prochaines livraisons pour se convaincre que L’Armateur saura en marquer la renaissance.


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