Le Mâche-laurier

par Catherine Brun
1994, in La Revue des revues no 17

En choisissant d’intituler la revue dont il dirige la publication Le Mâche-laurier, François Boddaert revendique explicitement une filiation avec quelques-uns des pères fondateurs de la poésie française « moderne ». Synonyme, pour Ronsard, d’inspiration poétique, ce mot-composé désigna, au XVIIe, ironiquement, « un poète un peu fou, imbu de sa supériorité » (H. Benac). C’est cette même folie, cette même ivresse dionysiaque, cette même « furor » que souhaitent réveiller, ou aider à entretenir, les fondateurs de cette nouvelle revue de poésie. En un peu moins d’une centaine de pages soigneusement imprimées, il ne s’agit de rien d’autre que de redorer le blason de la poésie française, non pas celle des siècles passés comme ce titre-manifeste pourrait le donner à entendre, mais la poésie du présent, le présent d’une poésie vivante.
Tout se passe comme si cette revue prétendait répondre à une urgence : permettre aux poètes, aux mâche-laurier, non pas d’exister, mais de manifester, de rendre manifeste, leur existence.
Pour ce faire, chaque livraison proposera dix mâche-laurier ; entre eux, outre le fait poétique, un point commun : la langue française, telle qu’elle vit ici et ailleurs, partout où on l’écrit encore. Cette langue, les mâche-laurier la feront sonner chacun singulièrement, la revue se voulant une croisée des parcours, un lieu de rencontre, où cohabitent fragments d’oeuvres en cours, études sur des textes poétiques, réédition de textes moins contemporains méconnus, le tout accompagné du travail d’un peintre.
Dans ce premier numéro, on lira ainsi des pages de A. Benjellouri, Petr Kràl, Monchoachi pour l’exploration « hors les murs » de notre langue française, des pages inédites jusque-là de Jean-Claude Caër, de Christian Doumet et de Jacques Lacarrière, une étude sur l’oeuvre de Pierre-Albert Jourdan, et la « chronique de l’injustice posthume » consacrée à René Ghil… ; Jean-Louis Gerbaud inaugure la série des peintres.
Il s’agit donc d’une revue ambitieuse, exigeante, qui, loin de se plaire à entériner des publications saluées ailleurs, ouvre ses espaces à la création en acte, prête son écho aux mâcheurs, audacieux, de laurier – on sait la toxicité de ces feuilles pour ceux qui ne se contentent pas d’en user comme d’aromates ; mâcheurs timorés s’abstenir.


Partager cet article