Le Pigeon

par Anthony Dufraisse
2015, in La Revue des revues no 54

En ces temps de dérèglements climatiques, on ne sait plus vraiment si les hirondelles font encore le printemps. Quoi qu’il en soit, ce printemps-ci aura fait, lui, Le Pigeon. D’abord, voyons voir son plumage : il est luisant, soyeux, soigné. La bestiole a de l’allure : un format généreux (19×24) pour une lecture confortable et une couverture bleutée travaillée dans l’idée de la constellation (les noms des contributeurs – Nicolas Ancion, Iman Bassalah, Mathieu Picard, Ryad Assani-Razaki, Roger des Roches… – apparaissant comme autant de corps célestes). Et maintenant le plus important, le ramage : une dizaine de contributions, de longueur variable, jouant de différents registres (méditation poétique, rêverie, scène dialoguée, récit, anticipation, etc.), et ponctuées d’illustrations en couleurs, tantôt photographiques, tantôt d’inspiration plus enfantine. Né du côté de Québec, Le Pigeon, s’il voit du pays (France, Belgique, Tunisie, Bénin…), revendique le partage d’une langue commune avant tout autre appartenance. Revue de création francophone, ce Pigeon, forcément voyageur, se joue donc des frontières comme à saute-moutons, sous l’impulsion partagée de Mélikah Abdelmoumen (la rédactrice en chef) et Annie Goulet (l’éditrice). C’est que la revue se place résolument sous le signe de la « littérature-monde en français », cette notion, on s’en souvient, que défendait un manifeste de 2007 porté notamment par Nancy Huston, Alain Mabanckou, Le Clézio ou encore Dany Laferrière. C’est d’ailleurs par un entretien avec ce dernier, « en quelque sorte le parrain de cette revue », que Le Pigeon déploie ses ailes, avant de laisser place au thème du « Lendemain ». Traitée sur le mode du doute ou de l’inquiétude, de l’aspiration ou de la lucidité, du renouveau ou de la confusion, cette thématique nous vaut un ensemble de qualité, qui fonctionne très bien, fort de sa diversité. Deux petites préférences, tout de même, pour les textes d’Éric Plamondon et de Claire Legendre, le premier pour sa fausse légèreté (un serveur secoué par un coup de foudre amoureux autant qu’existentiel), le second pour son originalité stylistique (donnant lieu à un flux narratif ancré dans la quotidienneté, la trivialité d’une vie). Prometteuse, cette revue annoncée comme semestrielle a joliment pris son envol. Nul doute, son battement d’ailes la portera loin.


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