Mét(r)onymie

par Luc Guégan (revue Sprezzatura)
2014, in La Revue des revues no 51

A l’heure des mornes séjours dans les transports en commun, il est encore des gens pour lever le nez de leur journal gratuit et regarder dans les yeux le métro filer sa course folle ! D’autant plus folle que le voilà lancé dans une ronde autour de Paris qui le verra se courir après la grande boucle quelques longues années avant que le « Grand Paris » ne dessine de nouvelles frontières à la capitale. Ces frontières, ce sont justement celles que la revue Mét(r)onymie s’est mis en tête d’interroger, de secouer, de traverser d’un pas alerte à la recherche de ce qui dessine la vraie carte sensible d’un vivre ensemble métropolitain se lovant tant bien que mal dans les détours des boucles de la Seine.

Déjà trois numéros et la fougue ne tarit pas, la naïveté rafraîchissante vient secouer le cocotier des édiles et des urbanistes de tout poil dans un patchwork de formes qui vous fait voyager d’un bout à l’autre des numéros suivant vos humeurs.

Et n’attendez pas de cette entreprise familiale qu’elle vous ressasse les mille petites anecdotes de Fulgence Bienvenüe et des inondations de 1910. Son terrain de jeu est ce « présent qui se cherche un futur » qui nous passe volontiers à côté et qui transforme la ville sans qu’on s’en aperçoive. Prendre son destin en main, et relever le gant des politiques pour voir si finalement se dégage, au fil des mots, un dessein à ce « Grand Paris » déjà statufié avant de naître, tel est l’ambition de Mét(r)onymie.

Un petit rappel pour ceux qui ont loupé le coche, ou que les turpitudes péri-périphériques laissent de marbre. En 2007, dans un élan de grand projet présidentiel mâtiné de jalousie à peine voilée vis-à-vis du Grand Londres de la perfide Albion d’en face, Nicolas Sarkozy met en branle un pseudo-concours international assez franco-français, en vue de repousser les limites étriquées des antiques fortifs, devenues au gré des trente glorieuses la plus circulaire des prisons autoroutières. Tout le gratin des urbanistes, architectes et penseurs de la ville se rue avec une ardeur non feinte dans la brèche, et sort en quelques mois dix projets tonitruants repoussant les limites de la timide ville lumière, qui jusqu’à Aubervilliers ou la Plaine Saint-Denis, qui jusqu’au Havre de Grâce. Las, l’enthousiasme présidentiel s’étant vite détourné vers d’autres cieux, que reste-t-il aujourd’hui de ce flamboiement initial ? Un vaste projet de transport (le Grand Paris Express) et une esquisse de moment historique, pris aux mots par la revue Mét(r)onymie, histoire ne pas rater l’occasion d’ouvrir en grand un questionnement voué à se rabougrir après que la fougue performative sarkozyenne l’a abandonné sur la margelle des fonts baptismaux, sans parrain ni marraine.

 

Qu’à cela ne tienne, la joyeuse bande de Mét(r)onymie ne s’en laisse pas conter et part à la recherche du Golem, bien décidée à n’esquiver nul obstacle. Foutraque à souhait mais animée d’un louable désir de comprendre, la revue bat le pavé et apostrophe sur son passage architectes, urbanistes, politiques, grand commis et petit faiseur, dans des entretiens qui laissent le temps à l’interlocuteur d’apporter sa petite pierre à la réflexion en cours, d’exposer sa vision et de confronter ses approches au fil des numéros.

Mais n’allez pas croire que seuls la sociologie et l’urbanisme théorique ont droit de cité. La Bête a de nombreuses têtes, et Mét(r)onymie n’est pas du genre à se laisser pétrifier par la première Méduse venue. Elle sait aussi aiguiser son regard sur la ville auprès de regardeurs en tous genres, cinéaste ou photographe, et se plaît à alléger son propos en parsemant ses pages de rubriques joviales, comme ce championnat des maires d’Île -de-France, que l’on suit de numéro en numéro et qui tricote, sous couvert de métaphores footballistiques récréatives, un feuilleton très amusant des pratiques comparées des édiles de nos arrondissements et de nos banlieues. De la loi SRU aux « pratiques culturelles » et autre cumul des mandats, elle distribue les bonnes notes et les coups de crampons, et l’on égrène le classement avec intérêt et amusement (il se trouve p. 19 du numéro 3). Nul doute que les élections de mars prochain chambouleront le classement !

 

Si Mét(r)onymie peut donner l’impression de battre le pavé avec l’air dégagé du titi bien connu, elle refuse témérairement de laisser le grand projet se faire en catimini dans les arcanes ministérielles, visiblement refroidie par les expériences du passé, des grands ensembles aux villes nouvelles. On le serait à moins ! L’urbanisme serait-il une chose trop grave pour le laisser aux politiques ? Raison de plus pour ne pas oublier de sonder les méthodes bien françaises qui ont présidé aux ravages passés (voir l’article « L’art français des grands travaux » dans ce même numéro 3) tout en ponctuant sa réflexion de leitmotive réels ou imaginaires comme autant de vade-mecum à mâchonner. Exemple, cette sentence de Louis Chevalier à propos des villes nouvelles : « On a fini, en peu de saisons, par prendre au sérieux ce qui précédemment eût indigné, par accepter avec résignation […] ce sur quoi l’on avait bataillé. »

 

Pour accompagner leur vigilant enthousiasme, je leur en proposerais bien une autre pour qu’elle leur porte bonheur dans les numéros à venir. J’eus un jour la surprise de retrouver cette phrase de Faulkner en tête d’un discours de Christian Blanc, premier secrétaire d’État au Grand Paris, rapidement consumé dans les vapeurs de Havane : « Avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu’on les poursuit. »


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