Moriturus

par Éric Dussert
2002, in La Revue des revues no 32

Sobre et sombre, éclaboussée d’un titre rouge sang, Moriturus a été conçue en août 2001 par un groupe d’amis, jeunes poètes pour la plupart. Cette revue aurait peut-être vu le jour sous des airs moins moroses si l’un d’entre eux, Guy Viarre, n’avait disparu prématurément, Guy Viarre qui avait choisi jusqu’au titre de la revue et « a préféré ne plus ».
On comprend que la mise en œuvre d’une revue dans ces conditions ne soit pas aisée et n’inspire pas à ses concepteurs autre chose qu’un « tombeau » ou ce qui y ressemble. Nonobstant la qualité des textes proposés par quatorze poètes et prosateurs, dont certains en pleine ascension (Cédric Demangeot, Patrick Wateau, Caroline Sagot Duvauroux, sans oublier l’inévitable Jean-Luc Parant, sempiternel nouveau) et la veine plus « enjouée » de Lambert Barthélémy, le lecteur risque de sentir le froid de la crypte lui tomber sur les épaules d’autant que les vers proposés sont à la fois tristes et écorchés, souventes fois macabres. D’ordinaire on parle bas dans les lieux dédiés au trépas et Moriturus est à ce point endeuillée qu’on n’ose s’y promener. Cependant, le soupçon vient que s’exprime ici une génération morose qui aura pour étendard « Voir noir & rien savoir » afin de mener sa petite guerre contre le monde hypocrite qui fait mine d’aller.
D’où ces danses macabres et ce ton morbide qui rappelle à l’occasion les décadents d’un autre siècle, cette époque où Maurice Rollinat faisait fureur en trimballant tripes, crânes et tibias. On espère en l’écrivant que ce commentaire un peu outré saura être compris : une revue naissante réclame une rare énergie, et seul un foyer formidable entretient son alchimie. Ici, l’accablement règne et n’étaient quelques pages libérées de son poids, on le subit. « Perds la vue ici » : ce n’est pas ce que souhaite traditionnellement une revue à ses lecteurs.
À moins qu’elle ne traverse une crise d’où elle sortira vite, on l’espère.


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