Nanga

Écrits de peintres

2012, in La Revue des revues no 47

Dans l’univers des revues, certaines lois auxquelles on se plie par une habitude paresseuse n’ont pas lieu d’être. Ainsi, hormis derrière le miroir soigneusement poli par Lewis Carroll, 1 n’a communément aucune raison d’être égal à 3. Le premier numéro de Nanga est une revue qui se présente sous la forme de trois précieux volumes au format carré. Immédiatement, on doit se rendre à l’évidence nouvelle : 1 = 3.
Le lecteur comprend vite que deux de ces volumes sont en fait des extensions de la revue, comme deux tentacules en lien avec le volume de tête, en l’occurrence une publication élégante qui entend donner la parole aux peintres et graveurs. Il se trouve que le directeur de la revue, Jérôme Feugereux est bien placé, à double titre, pour défendre cette ligne éditoriale. Il est éditeur établi en Bretagne, sous le label Nanga, qui revendique cette spécialité des écrits d’artistes. Et son père, Jean Feugereux (1923-1992), était un peintre n’hésitant pas à prendre la plume ; on le retrouve du reste comme peintre et écrivain tout au long de cette livraison. Quant au format carré qui structure de manière rigoureuse la revue et qui trouve un écho humoristique dans l’un des tirés à part, il nous rappelle peut-être que Jérôme Feugereux a jadis édité Aurélie Nemours, en 1991. En tournant quelques pages, un ciel de Jean Feugereux reproduit en couleur, qu’on aimerait voir un beau jour de sa fenêtre, nous place d’emblée dans de chatoyantes dispositions. Ce chatoiement, on le retrouve en nous laissant guider par le maître des lieux à travers ses découvertes et ses goûts, qui l’entraînent souvent vers le XIXe siècle. On n’a jamais affaire à une érudition pesante, mais plutôt à des éclairages en lumière diffuse, suffisants pour dresser un décor, évoquer un contexte. Il nous présente par exemple un peintre poète breton, vraisemblablement oublié, Jos Parker (1853-1916), auquel l’un des deux tirés à part est d’ailleurs entièrement consacré. On lit aussi avec intérêt une lettre illustrée de Martial Potémont (1828-1883) expliquant très clairement la technique de la gravure à l’eau-forte ou encore quelques missives de Degas parlant de ses ripailles faites, ici et là, lors d’un petit voyage en Bourgogne. Devinette : de quoi parle le peintre des danseuses, lorsqu’il écrit : « Il est là, je l’ai encore regardé ce matin, avec sur ses reins rouges des plis de fesses » ? D’un potiron, naturellement ! La revue s’achève utilement sur une série de notes de lecture relatives à des publications récentes d’écrits de peintre : Kapoor, Alberti, Severini ou Friedrich.
Exceptés quelques cocus malheureux de découvrir leur condition, tout le monde s’abandonnera enfin à une franche hilarité en lisant le second tiré à part proposé par Nanga. Il s’agit d’une réédition d’un texte d’Alphonse Allais, Le Langage des fleurs, augmenté de l’Album Primo-Avrilesque (1897) du même, s’autoproclamant pour l’occasion, « peintre monochroïdal ». Pour illustrer cet ouvrage, l’éditeur s’est mis plaisamment à l’école d’Allais, artiste peintre. Dans un esprit, il est vrai, assez différent de Malévitch, Alphonse Allais osa présenter aux Arts Incohérents de 1884 son œuvre immortelle intitulée Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige. Les spectateurs en sont restés pâles de stupeur. L’histoire de la peinture a bien failli s’arrêter là, dans l’abolition simultanée du spectacle et des spectateurs.
La diversité des propositions de ce premier Nanga, dans le cadre pourtant étroit des écrits de peintre, nous fait attendre avec grand plaisir les publications à venir. Un prospectus annonce d’ores et déjà quatre livraisons pour 2012, c’est-à-dire au moins 11 volumes !

La Revue des revues no 47, 2012


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