Les Nouveaux Cahiers pour la Folie

par Patrick Navaï,
2013, in La Revue des revues no 50

Dirigée par la psychiatre et philosophe Patricia Janody, la revue Nouveaux Cahiers pour la Folie se définit comme un espace où se mêlent des voix plurielles, qu’elles proviennent de patients ou de soignants concernés par l’univers de la folie. Depuis sa création en 2010 elle se veut l’expression de la résistance face au discours sécuritaire tenu par le précédent président de la République qui a entraîné de graves répercussions dans le traitement fait à la folie. Depuis, la priorité est donnée au tout-répressif, au détriment des soins prodigués aux patients. Le fou, désigné à la vindicte populaire, redevient potentiellement dangereux et la société doit à tout prix s’en protéger ; alors que nous savons pertinemment qu’il est la première victime d’abus ou de violences. Il n’est pas donc étonnant que cette publication soit en parfaite résonance avec le Collectif des 39 contre la Nuit Sécuritaire. C’est une revue engagée qui garde en mémoire l’action du psychiatre désaliéniste Lucien Bonnafé qui écrivait : « On juge le degré d’une civilisation à la façon dont elle traite ses fous. » Dans le numéro 0 de juin 2010, page 25, Elisabeth Weissman lance un appel qui résume bien ce à quoi est destinée cette publication : « Que vous soyez soignés, soignants, nous attendons de vous tout ce qui résiste pour restituer à la folie toute sa dimension humaine. » La directrice de la rédaction, Sophie Dufau, s’entretient dans le numéro 1 page 32 avec Cécile Castaing, spécialiste du droit à la santé, sur le projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
Écho des anciens Cahiers pour la Folie* qui avaient vu le jour dans les années 1970, elle a pour mission entre autres de vaincre les barrières établies entre patients et docteurs, de les réunir dans de nouveaux projets de vie.
La revue, qui a « la fonction d’une passerelle », en est à son numéro 4 et il est à noter qu’elle se fait de plus en plus belle : la couleur a fait son entrée dès le numéro 2 avec les reproductions des peintures à l’acrylique de Sylvain Bernau.
Que trouve-t-on dans ses pages ? Des lettres, des poèmes, des photos, des dessins, des articles, des témoignages et même des mails. Et qui sont les auteurs ? Des infirmiers psychiatriques, des psychologues, des collectifs de soignants, des patients et leurs parents. On y trouve par exemple le témoignage bouleversant de la mère de Valentin qui donne à lire ce qu’elle a vécu et enduré avec la maladie de son fils dans « Vivre avec Valentin » (no 4, p. 8). Citons parmi ces nombreux textes, cet extrait du poème de Léonore Fandol (no 0, p. 22) : « Que fait le fou quand finalement il perd la tête sa démesure de son jeu à dupe ? devient-il vieux, cendres avant la mort, ruines ? » On trouve également dans le numéro 4 un article « Sauvons un patrimoine extra-hospitalier exceptionnel » de J.-B. Couzinet, docteur en communication et plasticien, et des paroles de femmes sur la violence dans « à Mayotte » qui sont traduites du comorien par Nazli Jona.
On peut remarquer le respect profond qu’éprouve l’équipe éditoriale pour ses auteurs et ses illustrateurs : ceux-ci peuvent publier sous leur nom, sous un pseudonyme ou rester anonyme. Le grand mérite des Nouveaux Cahiers pour la Folie est d’avoir compris que la parole des soignés et des soignants est vitale, autant pour eux que pour la société. Trop de revues refusent d’ouvrir des pages à ces voix multiples qui ont pourtant tellement à nous apprendre sur eux et sur nous-mêmes. Ici, les patients peuvent faire entendre leurs cris, leurs doléances mais aussi exprimer leurs rêves et proposer une autre approche de leurs souffrances. Ici, les soignants qui les accueillent, leur prescrivent leur traitement, leur redonnent confiance et se battent au quotidien pour leur ouvrir des fenêtres, se regroupent pour dénoncer leurs conditions de vie ainsi que celles des soignés et offrent des solutions.
Les éditoriaux des numéros annoncent à chaque fois la couleur de la partition : « Une nouvelle Folie pour les Cahiers » ; « Folies avec ou sans loi ? » ; « — Tu l’aimes toujours ? — Qui ? — Ton diag, tiens ! » ; « Maux fléchés » ; « Est-il bien normal d’être anormal ? » L’humour y est souvent au rendez-vous, mais ne reste-t-il pas l’arme la plus efficace et la plus pacifique à la fois face à la régression des libertés et à la perte de la valeur humaine ?

Citons pour clore cet extrait de poème d’Anne Fontaine paru dans le numéro 3, page 20 :

Dieu merci
Le monde est fait de rongeurs
Petites souris je passe par vos trous

Le monde est plein de trous
Oui
Les souris travaillent dur
Et je connais des trous de mer d’argent qui
Conduisent
à des trous de ciel forcément d’azur
Il y a des couleurs c’est forcément sûr

Bien sûr
Il y a aussi les trous célestes d’étoiles à [étoiles
Les voies lactées
L’univers est plein de trous
Drôle d’emmental
Et puis
Ma mémoire aussi

On peut commander les numéros des Nouveaux Cahiers pour la Folie sur le site des Éditions Champ social en version papier et/ou numérique ; ils sont téléchargeables gratuitement en ligne à ces deux adresses :

www.collectifpsychiatrie.fr
//blogs.mediapart.fr

* dirigée par Jean-Yves Pouilloux. No 1, mars/avril 1970 – no 15, 1974

 

Coordonnées de la revue


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