Polysèmes

par André Chabin
19891990, in La Revue des revues no 8

Le titre peu amène vaut à la fois comme avertissement et emblème d’une ambition : éditée par un groupe universitaire de recherches sur les relations entre la littérature et les arts, Polysèmes est une revue austère qui s’adresse à un lecteur que la simple évocation de « systèmes signifiants » ou d’« interférence codique » ne fait pas frémir. A celui-là, il sera encore conseillé une bonne connaissance de l’anglais car, dans cette nouvelle revue qui entend privilégier, sans exclusive cependant, le domaine anglo-saxon, aucune des nombreuses citations n’est traduite. Polysèmes se propose d’explorer les phénomènes de « l’intertextualité transartistique », autrement dit d’étudier comment les oeuvres, au-delà des codes (verbaux ou non) qui leur sont propres et les séparent, entrent en résonance, se croisent et dialoguent à travers temps et espace. Convoquant peinture, théâtre, musique, poésie et roman, les cinq minutieuses études de ce premier numéro, qu’une trop rare iconographie accompagne, mettent à l’épreuve ces postulats. On y apprend, tour à tour, comment Fuseli et Blake se rencontrent et se séparent dans leur interprétation de « la scène des poignards » de Macbeth, comment, chez Strauss, musique et chant transforment et révèlent la Salomé d’Oscar Wilde. Un long article final, dans un parallèle entre les romans de Claude Simon et Michel Butor et les oeuvres des peintres du Pop’Art, entend montrer comment les « modernes », par le recours à des procédés identiques (opacité des choses, usage du stéréotype, citations…), minent également la représentation classique.
Ainsi de l’analyse d’interactions intentionnelles , directes, jusqu’au déchiffrement de rapports plus obscurs, plus aléatoires aussi, Polysèmes s’engage dans un « entretien infini » dont la seule limite, inscrite au coeur même de sa recherche, résonne dans la parole critique qui la mène : Comment franchir la distance qui sépare l’analyse de la création ? Comment les mots peuvent-ils dire l’image et la musique ? L’écart : c’est aussi le thème annoncé de cette première livraison.


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