R de Réel

par Christophe Daniel
2000, in La Revue des revues no 29

Peut-on être à la fois « intello et rigolo » ? Peut-on combiner savoir et malice ? C’est à ce pari insolite que se sont risqués Lætitia Bianchi et Raphaël Meltz, en lançant, en janvier 2000, R de Réel, et en la proclamant d’emblée « revue illustrée généraliste et alphabétique ». R de Réel revendique certes sa « durée déterminée » (24 volumes sont prévus sur quatre ans, alphabet oblige !), mais ne se veut ni un simple galop d’essai, et encore moins un tremplin mondain. Au travers des huit volumes déjà parus (la lettre I étant à l’honneur du neuvième), R de Réel s’affirme, bien au contraire, comme une revue à part entière, dont la forte personnalité semble répondre à l’exigence d’une création originale et indépendante, exprimée au fil de ses pages par les auteurs.
Revue alphabétique donc puisque la soixantaine de pages de chaque numéro est consacrée, tous les deux mois, à une lettre différente, en suivant l’ordre, finalement pas plus arbitraire qu’un autre, de l’alphabet. Mais moins docilement qu’on pourrait le supposer. L’alphabet comme ligne directrice, c’est d’abord pour Laetitia Bianchi « une contrainte souple, qui laisse une grande marge de manœuvre dans le choix des sujets », sans se transformer pour autant en une solution de facilité : le choix n’est jamais délégué au seul alphabet. À bien compulser un dictionnaire, (et même le Larousse élémentaire de nos jeunes années !), le nombre de mots qui commencent par une même lettre reste heureusement assez conséquent pour laisser place, chez les auteurs, à un Réel engagement intellectuel.
Revue généraliste ensuite puisqu’elle sait combiner des thèmes philosophiques, politiques, sociaux, culturels et artistiques, sans oublier les contributions graphiques qui mêlent illustrations anciennes et créations contemporaines : des gravures du XVIe siècle viennent appuyer des slogans joyeusement « alphabétisés » (sous prétexte de faiRe la Réclame de R de Réel !) tandis que le dessin de Nicolas de Crécy ou celui de Sergio Aquindo ponctuent les textes, avec talent. On y croise donc « des articles longs, denses… accessibles à des non-spécialistes tout en suivant une rigueur universitaire » réunis dans la rubrique « Savoir ». Dans le dernier volume, lettre H, on revient ainsi sur l’évolution historique et sociale de l’Hôpital, on discute du concept d’Humanisme. On y croise aussi des critiques : un artiste, une œuvre, mais aussi des critiques thématiques (dont une critique de la critique littéraire rondement menée dans le volume C). On y croise encore des textes de fiction rassemblés dans « Imaginaire », notamment sous la forme d’un roman-feuilleton décalé dont le rythme parodie bien celui de la sitcom (mais il s’agit ici d’essayer d’imaginer les conséquences de la création d’un Revenu d’Existence !). Toujours dans cette même rubrique, des chroniques (dont « 7 visiteurs/an », visite guidée et cocasse des salles de musée les moins fréquentées), des interviews (elles aussi bien imaginaires !) : la dernière en date étant celle d’un Colbert, passablement agacé par l’insolence de son interviewer. On y croise enfin une sélection de mots (rubrique « Dictionnaire »), commençant par la lettre vedette, et dont les définitions se partagent entre citations anciennes et courts textes de création.
À noter que la plupart des contributions est particulièrement bien documentée (notes explicatives, notes bibliographiques et renvois).
La grande réussite de la revue, au-delà d’une maquette séduisante, c’est, on l’a déjà peut-être deviné, de combiner les genres, avec une harmonie assez inhabituelle. Le mélange des connaissances quand il est bien conçu, la parodie et le second degré quand ils sont bien employés, deviennent des atouts précieux pour réveiller la curiosité du lecteur, pour dépasser ses a priori sur certains thèmes, bref pour transmettre un certain savoir, avec un enthousiasme qui parvient à être communicatif. Au fil des pages de R de Réel, on est donc bien loin d’une érudition ennuyeuse qui s’étalerait, mais on est loin aussi des digests de culture générale tels que proposés aux futurs bacheliers et même aux étudiants.
R de Réel, c’est peut-être un objet difficile à classer dans le paysage des revues, certainement un peu déroutant au premier abord. Il n’empêche qu’il se construit peu à peu un ton « R de Réel » dont la fraîcheur, l’originalité et la malice mais aussi la rigueur intellectuelle devraient en séduire encore beaucoup.


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