Recherches en histoire de l’art

par Yves Chevrefils Desbiolles
2002, in La Revue des revues no 32

On connaît l’aphorisme anglo-saxon « publish or perish » qui a valeur de loi pour tous les tenants des sciences dures. Le champ de bataille éditorial des scientifiques est constitué par un réseau bien établi de revues internationales dont le prestige est finement hiérarchisé par un système d’évaluation statistique des citations. Ce terrain s’est considérablement élargi durant la dernière décennie par un usage intensif de l’Internet.
Dans le vaste champ de nos anciennes humanités, l’existence se mesure aussi à la capacité de chacun à être lu. Mais dans ce cas, il s’agit moins de s’imposer dans un circuit dont la géographie est bien dessinée, que de trouver dans sa discipline un nombre suffisant de supports permettant à la lutte de s’engager.
En France, cette situation touche de manière plus particulière l’histoire de l’art, discipline dont l’autonomie n’est pas très ancienne et qui reste de ce fait pauvre en relais institutionnels. La qualité des revues françaises d’histoire de l’art n’est pas en cause ; néanmoins – constate Jean-Paul Bouillon, professeur d’histoire de l’art moderne à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand – leur périodicité réduite et leur fragilité laissent peu d’espoir aux jeunes chercheurs d’être publiés. « Mais où est ensuite la trace, le témoignage, l’apport concret, pour d’autres, de ces thèses, de ces mémoires de DEA, de ces maîtrises… ? » Le constat de cette lacune a donné naissance à la revue Recherches en histoire de l’art et à l’association qui lui donne un cadre juridique, Historien de l’art.
La revue est dotée d’un conseil scientifique formé de trois professeurs, et d’un comité éditorial animé par de jeunes docteurs ou doctorants qui apprennent ainsi à maîtriser une dimension clé de la vie professionnelle des chercheurs.
Dans ce premier numéro, sept articles forment un sommaire qui fait la part belle à l’architecture des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, des textes issus pour la plupart de thèses soutenues entre 1973 et 2001. Selon son goût ou sa spécialité, chaque lecteur y trouvera son bien (j’ai pour ma part apprécié l’article de Christophe Laurent, « Les pavillons préfabriqués de Pierre Jeanneret, Jean Prouvé et Charlotte Perriand pour la Société centrale des alliages légers, Issoire, 1939-1941 »). L’ensemble est complété par une présentation des auteurs et une « Liste des travaux de recherches universitaires soutenus au département d’Histoire de l’art et archéologie de l’Unité de formation et de recherche de Lettres, Langues et Sciences humaines, université de Clermont II, Blaise-Pascal, de 1987 à 2001, et thèses de Doctorat d’université en cours. » On ne saurait être plus précis.
Incontestable sur le fond, l’à-propos de Recherches en histoire de l’art est toutefois fragilisé par sa forme non encore aboutie. Voici pourquoi. Aux yeux de ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’imprimé, la revue universitaire constitue souvent une sorte de témoin archéologique vivant. Relisons à cet égard les premières pages de l’article de Jean Sgard intitulé « La multiplication des périodiques », paru en 1984 dans le second tome de l’Histoire de l’édition française (réédité en format compact par Fayard / Promodis en 1990). L’auteur évoque cette époque, entre 1660 et 1789, où les premiers journaux, rédigés dans un style littéraire, étaient conçus comme des fragments de livres destinés, selon un rythme le plus souvent annuel, à être reliés et pourvus d’index.
Plus qu’un modèle, le livre représentait alors un idéal, celui du savoir rassemblé et pérennisé. Pendant ce temps, face au journal, le livre découvrait les avantages, intellectuel et économique, de la publication en série d’une forme normalisée. De ce jeu d’interférences sont nées deux formes éditoriales vigoureuses : la revue sur le versant journal, la collection sur le versant livre.
À ce titre, la revue universitaire se trouve tout près de la frontière qui la sépare de la collection, trop près parfois lorsqu’elle adopte le format du livre et se donne un rythme annuel. Et c’est peut-être là, au moment où la frontière semble sur le point d’être franchie, qu’il faut identifier la vraie fragilité de ce type de revue : les simples mises en collection de travaux aussi intéressants soient-ils sont en général défaites par le premier épuisement budgétaire, par la première défection d’un commanditaire parce que, précisément, c’est en tant que revue qu’elles seront jugées. Or, un éditorial et une chronique qui savent mordre sur les enjeux de la discipline, des recensions et des notes, sont les éléments permettant à une revue d’occuper une place dans le débat général, d’être considérée, si elle réussit, comme une revue indispensable.
De son côté, la collection peut être tout aussi efficace, tout aussi légitime lorsqu’il s’agit de publier les résultats de la recherche universitaire. Mais c’est un autre projet, un autre plaidoyer.


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