Tango

par Xavier Schapira
2010, in La Revue des revues n° 44

« Le printemps tout entier amène un cornet d’hirondelles » et le retour, un quart de siècle plus tard, de Tango : ainsi débute l’éditorial robotatif de Jean Louis Ducourneau qui ouvre la revue. Effectivement une première série de Tango est parue de 1983 à 1985. La présente série comprendra quatre numéros, la suivante étant prévue dans un quart de siècle…
Disons, d’emblée, que la livraison, en tant qu’objet, est fort séduisante : papier glacé, format 21×28 permettant une mise en page aérée et subtile ; illustrations photographiques saisissantes. Un plaisir rare.
À consulter la liste des « navigateurs » de ce superbe numéro – entre autres, Jean Echenoz, Julio Cortazàr, Francis Marmande, Yves Harlé – nul ne s’étonnera de la qualité exceptionnelle des articles – tous inédits – qui foisonnent autour du roman noir, du jazz, du cinéma, du voyage et naturellement du tango.
Mise en bouche. « Nitrox » : un texte de Jean Echenoz dans un registre fantastique de plongée d’une belle jeune femme sous les mers . Ensuite un document rare : les lettres d’amour d’un marin retrouvées dans une benne à ordures à Paris. On ne sait rien de lui, mais son histoire fantasmée suffit à JeanLouis Ducournau « pour voyager sans fin » en évoquant l’estuaire de la Loire et « le temps des premiers tangos » à Montevideo.
Suit un ensemble de contributions placées sous le signe de « Tango Bar », le film mythique tourné par Carlos Gardel en 1935 : évocation émotionnelle de Gardel à Paris à la fin des années 20 par Oscar Caballero avec des affiches de l’époque ; évocation piquante des quartiers Pigalle-Batignolles en 1928 par Patrice Bollon ; et Julio Cortàzar exprimant sa tendresse pour celui qui reflète la vie du Portègne (l’habitant de Buenos-Aires) des années 20. Au passage, pour les amateurs : le tango préféré de Cortàzar est « Mano a mano »…
Argentine : Tabita Peralta Lugones raconte en un récit haletant et sans concession l’histoire de sa famille. Son arrière-grand-père, Leopoldo Lugones (1874-1938) est sans doute le plus grand poète argentin ; il n’aimait pas le tango… Alicia Dujovne Ortiz retrace en une fresque brillante et vraie l’histoire bicentenaire de la république née en 1810.
Nouvelle séquence : « À la nuit la nuit ». Une nuit de Chet Baker et Joe Albany à Bordeaux au temps du festival Sigma malheureusement disparu (assassiné ?). Réflexions sur les liens indissolubles du jazz et de la nuit. Une séquence passionnante sur l’histoire du festival et le passage libérateur du Living Theater en 1966, deux ans avant Avignon (« Hernani à Bordeaux ») !
« Moi je suis du temps du tango ». Évoquant Jean-René Caussimon, Francis Marmande décrit en un récit plein d’humour ses expériences de tango qu’il qualifie d’« exagéré, dramatique, laïque » : de Soeix (prononcez : « souèch »), dans les Pyrénées Atlantiques, à Kyoto, en passant par Lattaquié en Syrie. Il nous invite à raconter les nôtres…
Après les ports, les gares et les trains nostalgiques de Yves Harté : Austerlitz autrefois, la gare démente de Canfranc, le Paris-Irun, la gare Saint-Jean à Bordeaux, les petites lignes oubliées…
« From Goa to Gao » : la récupération quasi non-violente de Goa par l’Inde en 1961 ; un récit désopilant de Paul Fournel, président de l’OULIPO, retraçant le périple « De Goa à Gao à vélo » par un personnage continuant à pédaler sur le pont à la vitesse exacte du cargo !
Ultime voyage : « The last bus bar ». « Lundi de Pâques » avec des paroles de tango de Raul Gonzalez Tunon. « Le souffle du bandonéon » : un récit dramatique d’une prostituée aux prises avec un client fou qui veut la crucifier.
Enfin, de Jean Louis Ducournau, « Aux ombres qui sillonnent les routes la nuit » avec la splendide série de portraits en miroir de la comédienne Isabelle Weingarten, « Le plus beau corps du cinéma français ! », selon Jean-Bernard Pouy
Ce survol partiel, sans doute trop descriptif, du contenu de la revue ne saurait rendre compte de l’humour, de la fantaisie, de la légèreté et de la liberté de ton des contributions, de la typographie variée , de la mise en pages raffinée … Il faudrait aussi revenir sur la qualité de l’illustration, en particulier Les dessous de tables de 4 Taxis. L’ensemble reste exceptionnel. C’est de la belle ouvrage !

Ceux qui aiment le jazz, le tango, les récits improbables, l’humour, la poésie seront comblés. Bon vent à Tango qui accostera en novembre à Shanghaï. Gageons que nous serons nombreux, sur le port, à l’accueillir.


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