Thauma, Revue de philosophie et de poésie

No 1, 2006

par Jérôme Duwa
2007, in La Revue des revues n° 40

Sous le signe du miracle, [[i]]Thauma[[/i]] se lance sur les traces de l’Animal. Faisons abstraction d’emblée de la maquette de la revue, très austère, ainsi que des illustrations, des encres de Chine quelque peu académiques dans leur gestualité même. Il faut être certainement un peu thaumaturge, c’est-à-dire poète, pour saisir l’anima dans l’animal. Surtout, il convient de prendre le parti de La Fontaine dans son [[i]]Discours à Madame de La Sablière[[/i]] contre celui de Descartes. Poésie et philosophie sont donc ici invitées à se rendre disponibles à cette altérité maximale de l’animalité. Le travail de fond réalisé par Élisabeth de Fontenay en 1998 dans son livre [[i]]Le Silence des bêtes[[/i]] constitue l’horizon philosophique de cette livraison de [[i]]Thauma[[/i]], qui a sollicité poètes du passé et d’aujourd’hui pour offrir des représentations de l’animal qui ne valident pas d’emblée la tranquille coupure cartésienne entre l’homme et la bête. Naturellement, à semer le doute sur notre différence avec le monde des bêtes, on ne peut que récolter de nouvelles inquiétudes sur notre propre identité humaine. D’où cette conclusion de l’éditrice dans sa préface : « Les animaux, en nous conduisant à rechercher ce qu’ils peuvent et qui ils sont, nous portent à demander ce que nous sommes. Nous l’ignorons. Et nous ne cessons de le demander. »
Ces considérations générales posées, [[i]]Thauma[[/i]] s’ouvre joliment sur deux rondeaux de Jacques Roubaud, la signature contemporaine la plus prestigieuse de la revue. On se laisse facilement porter par cette musique fondée sur deux rimes : « Quand vous irez à l’école / petits moineaux du printemps / n’oubliez pas en partant / de peigner vos plumes folles / avec un peigne à cinq dents ». Mais par-delà sa belle légèreté, le rondeau de Roubaud interroge aussi notre rapport à l’animal ; en rêvant à de petits moineaux écoliers, il forme la fiction d’une égalité et d’une communication entre l’homme et l’animal. Des moineaux, on peut aisément passer à Lamartine et son cheval Saphir, qui songeaient de concert, nous assure Jacques Jouet, à la « cohésion sociale ».
Il est même possible que l’animal y pense plus sérieusement que l’homme… Davantage qu’un ami, l’animal est « frère », comme le dit un poème qu’Umberto Sabba consacre à la chèvre. « J’ai parlé à une chèvre. / Elle était seule sur le pré, elle était attachée. / Repue d’herbe, trempée / de pluie, elle bêlait. » L’absurdité apparente qui consiste à parler à une bête se trouve surmontée par l’étrange symétrie faisant du cri pitoyable de l’animal, l’équivalent de la douleur du poète, lui-même réceptacle de la souffrance de l’humanité.
Paradoxalement, comme l’analyse Sébastien Labrusse, la confrontation avec l’animal est l’occasion d’une « épiphanie de l’humain ». « Le plus autrui de tous les autrui » (Claude Levi-Strauss) n’est donc pas si loin de nous. Aurélie Loiseleur le suggère dans un poème composé d’une liste pleine d’espièglerie : « Éphémère tenace – bipède désailé / Pur-sang bridé – hybride d’ange vide ».


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