UBU

Scènes d’Europe/European stages

par Michel Richard
1996, in La Revue des revues n° 22

Revue trimestrielle, publiée par l’APITE (Association pour l’information théâtrale en Europe), UBU « veut être un lieu, un carrefour d’informations, de débats, d’échanges, de points de vue, de textes inédits pour toute l’Europe » de l’Atlantique à l’Oural. Reprenant la place laissée vacante après la disparition d’Euromasks et de Théâtre en Europe, et souhaitant relier les réseaux déjà existants, rien de ce qui concerne le théâtre ne lui est étranger : « L’écriture, la dramaturgie, la mise en scène, l’art dramatique, la scénographie, l’histoire, la théorie, la pédagogie, la technique, le fonctionnement, le financement, le statut juridique, le contexte social, la donne politique, la scène et les coulisses » (éditorial : Ubu, acte I, Toute l’Europe théâtrale).
Publiée simultanément en français et en anglais, elle donne place également à des textes publiés en « version originale », dans des langues minoritaires, avec leur traduction en français. De la même façon, l’adresse d’Ubu est à Paris, mais ses fondateurs la voient aussi à Berlin, Prague, Londres, Madrid, etc. Enfin elle naît sous le parrainage de Jarry, parce qu’en matière de revue – et de théâtre – rien n’est jamais vraiment sérieux ni définitif.
Chaque numéro comportera un dossier, une rubrique intitulée « Images », présentant de brefs compte rendus de différentes créations et des principaux festivals (l’accueil du Footsbarn à Dublin, Limoges la francophone, festival de Veroli, « But a piece of Bread » de Fassbinder au Théâtre de la Bastille), des textes inédits, ici le dramaturge catalan José Sanchis Sinisterra (en français et en espagnol), une enquête (les réseaux informels) et enfin le calendrier des principales manifestations à venir.
Ce numéro s’ouvre sur un article d’Irène Gogobéridzé, ardente plaidoirie à l’adresse des intellectuels occidentaux destinée à démonter l’existence d’un théâtre géorgien original de l’Antiquité à nos jours. Si la vie théâtrale eût beaucoup à souffrir des diverses invasions et dominations subies par ce « tout petit pays », elle connut des périodes fastes, notamment entre 1130 et 1220 (« âge d’or médiéval de l’état géorgien »), et au XVIIIe siècle (la première pièce française représentée sur la scène géorgienne est Iphigénie de Racine). En 1801, la Géorgie est de nouveau supprimée de la carte par le tsar Paul Ier, mais l’occupant encourage la création d’un théâtre officiel d’expression russe, le théâtre Gribeïdov, aujourd’hui encore l’un des meilleurs de Tbilissi. Le théâtre national renaquit cependant le 14 janvier 1851 et ne devra plus cesser son activité malgré les guerres et malgré les pressions du nouveau gouvernement issu de l’indépendance.
Le XXe siècle est marqué par la personnalité de deux réformateurs : Constantin Mardjanichvili et Sandro Akhmétéli, le maître et le disciple. Le premier fera pour le théâtre géorgien ce que Copeau a su faire pour le théâtre français, le second créera ce qui demeure l’une des troupes les plus importantes d’aujourd’hui, le Théâtre des acteurs de cinéma, qui fonctionnera selon les principes du théâtre laboratoire. Pour ce qui concerne l’avenir, l’auteur manifeste son optimisme malgré les conditions économiques, la reconstruction, et les effets de la guerre…
Le théâtre européen a-t-il une mémoire ? Tel est le titre du dossier qui constitue le plat de résistance de ce numéro. Roger Planchon, Eugenio Barba, Giorgio Barberio Corsetti, Gigi Dall’Aglio, Alexander Lang, Andrzej Seweryn et Georges Banu répondent en évoquant leur premier souvenir théâtral, et en essayant d’analyser comment la mémoire et l’héritage agissent sur leur pratique et comment se construit une histoire du théâtre. Ce travail de mémoire mené au cours de longs entretiens constitue une passionnante évocation de l’histoire du théâtre du XXe siècle, qui commence avec les pères fondateurs, Stanislavski et Meyerhold, mais qui est dominée par la figure de Brecht, auteur, metteur en scène, théoricien ; on y croise aussi Peter Brook, Jerzy Grotowski, Kantor, Luca Ronconi, le Living Theatre, Robert Wilson, Giorgio Strehler, Orson Welles, Pina Bausch, etc. Seul Georges Banu y évoque toutefois fort à propos le rôle du spectateur et sa « responsabilité mnémonique », dans la constitution de cette mémoire vive collective.


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