Les Catastrophes mises en page

Le poète Pierre Vinclair, docteur ès Lettres depuis la soutenance de sa thèse sur l’énergétique comparée de l’épopée et du roman (Le Mans, 2014), publie la revue Catastrophes en collaboration avec Laurent Albarracin et Guillaume Condello sous une double forme numérique et papier. Sous-titrée « Revue d’écritures sérielles » lorsqu’elle se présente en ligne, « Éclats de poésie contemporaine » lorsqu’elle se fige sur le papier imprimé, elle offre la même variété de poétiques tirant des différents continents figures et formes d’aujourd’hui. Plusieurs Français de générations différentes y accueillent trois Anglo-saxons et trois poètes de Singapour, ville où réside Pierre Vinclair. Le panorama est varié, le sentiment de Catastrophes moins carrément angoissant qu’encourageant puisqu’on cherche à y associer le surgissement anarchique de la langue et le résolu posé de la pensée qui se vêt de mots, les deux grandes tendances de la poésie contemporaine selon Pierre Vinclair.

 

 

Écrits à quatre mains par ce chamane d’Ivar Ch’Vavar et son hétéronyme Pierre Lenchépé (« le Gauche » en picard), cahotement du bégaiement (Pierre Lafargue), résurgence d’une prosodie d’inspiration néo-biblique (Serge Airoldi), les Catastrophes mises en page ne présentent rien d’affolant non plus que d’attristant ou de trop manifestement moderniste. C’est justement l’impression de grand calme, d’assez paisible aisance et d’une netteté toute néo-classique qui frappe jusque dans la maquette assurément sobre de la revue. Catastrophes appartient à cette famille de publications qui anthologisent et officialisent tout à la fois, comme Conférence ou Théodore Balmoral pour ne donner que ces deux exemples récents. Quand bien même s’y lisent plumes  émergentes (Fabrice Caravaca des éditions Dernier Télégramme, Fanny Garin et Julia Lepère) et des auteurs étrangers mal connus des lecteurs français.

 

Sur ce plan, Catastrophes a réussi la double introduction des Anglo-Saxons et des poètes d’Asie au cœur d’un sommaire qui, découpé en quatre chapitres (Révolutions/Récréations/Révélations/Coda), propose autant d’esthétiques que de signatures. Côté USA, Eliot Weinberger (« Mahomet »), auteur de la remarquable maison New Directions (NY), est le premier étranger traduit par Catastrophes, Phillip B. Williams est un « spoken-word performer » né à Chicago, et Alexandre Dickow, déjà lu dans Carambole (Argol 2008) ou Rhapsodie curieuse (Louise Bottu, 2017) nous présente le « Dèze le mécréant », vaillant « pionnier allophage », ne négligeons pas ce point, qui reste le meilleur héros d’épopée de cette livraison. Et puis il y a encore des mises en boucles sur planète plate et des retours à un symbolisme de naguère par Clément Kalsa qui préconise rapsode et envoi, enfin l’obsession pour cette « Arbre de pluie » qui marque les jours et l’esprit de Madeleine Lee et, proche du terme de Catastrophes, les « Remerciements » de l’amant Cyril Wong. Pour déboucher sur la « Maîtrise » de Phillip B. Williams qui rend hommage aux Anciens et affronte leur parole puissante avec la détermination de ceux qui veulent conquérir la leur : « Les maîtres sont bien morts. Mais je désirais être humain : j’ai donc tenté de réécrire le canonique The Waste Land, mais sa portée projette une lumière désastreuse. Les crayons de maîtres percent cette page — ma main, suspendue, la contemple. Babylone ressuscitée, exorcisme à l’envers, avec nature maintenant retroussée ? »

 

Catastrophes est pleine d’espérance.

 

Éric Dussert

 

Le premier numéro de Catastrophes publié au format papier est édité par Le corridor bleu.