Babel heureuse

par Anthony Dufraisse
2017, in La Revue des revues no 58

 « Babel heureuse » : la formule est empruntée à Roland Barthes. Un titre qui sonne comme un défi à tous ceux qui sont tentés par l’entre-soi et le repli, par l’esprit de chapelle ou l’appel du cheptel. C’est un pari aussi : celui de faire vivre durablement un « lieu plurimodal de pensée et de création », comme l’écrit dans sa déclaration d’intention François Rannou, à la barre de ce projet qui n’aurait pas vu le jour sans le soutien de l’éditeur Gwen Catalá, très investi. Ensemble, ils ont mis les moyens de leurs ambitions, leur proposition se déclinant diversement ; outre la revue papier semestrielle (très soignée, grand format, près de 250 pages), il y a une plateforme web et une version ebook enrichie. « Espace de découverte (qui) se déplie sur plusieurs supports », Babel heureuse c’est donc une poupée russe polyglotte, un projet à tiroirs, une affaire d’allers-retours entre l’écrit et l’écran. Photos, vidéos, captations sonores prolongent en effet l’imprimé, la profondeur technique offerte par le numérique donnant une épaisseur et une couleur particulières à l’expérience du lecteur-spectateur-auditeur. Toutes choses qui autorisent les animateurs du projet à le dire « hypermédiatique », au sens circulaire et collaboratif du terme. Si pertinent que soit le programme, on n’est pas obligé, évidemment, d’être convaincu par toutes les contributions ici proposées. Selon nous, quelques textes se détachent : les strophes, modestes et sensibles, de Denise Le Dantec, les éclats de mémoire de Françoise Morvan, les apparitions kafkaïennes de Laurent Margantin ou l’essai de Marie-Hélène Gauthier, qui aborde avec acuité l’écriture de Georges Perros. Avec intérêt on découvrira aussi, traduits par Victor Martinez, des extraits, poèmes et proses mêlés, de l’Espagnol Leopoldo Maria Panero (1948-2014), dont un qui fait écho à son expérience de l’internement psychiatrique. Bref, le premier acte du projet Babel heureuse dessine plutôt bien les contours et possibilités d’une entreprise qui entend œuvrer – encore une formule de Barthes – à « la cohabitation des langages ».

Coordonnées de la revue


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