Toute la lire n°3

 

Après l’orange vif du premier numéro et le bleu ciel du deuxième, c’est d’un délicat lilas que s’habille la couverture de la dernière livraison de Toute la lire, revue dirigée par Christian Désagulier et conçue par Julia Tabakhova. N’aborde pas cette revue qui veut ; il faut s’armer de curiosité et d’un passeport en bonne et due forme. C’est qu’ici, dépaysement oblige, on voit du pays. Entre autres choses on passe d’une suite de poèmes traduits du vieux nordique, sorte d’initiation à la runologie, à une immersion « moscovite postsoviétique » avec les travaux assez saisissants de Sarah Carton de Grammont, issus de sa thèse de doctorat en anthropologie sociale et ethnologie. Avant cela, et en compagnie de Francis Falceto, on se téléportera du coté d’Addis Abeba pour cogiter sur la très sibylline épitaphe voulue par le méconnu Sebhat Guèbrè-Egziabhér (1936-2012), un écrivain éthiopien à tout le moins électron libre. Citons encore, autre halte, un détour par New York. C’est là-bas, en 2013, que Leslie Kaplan (pour mémoire elle est née dans cette ville en 1943) fit une conférence sur le langage : « La psychanalyse et la littérature, par l’attention prêtée aux mots, visent, chacune à leur façon, une désaliénation, c’est-à-dire, plus d’ouverture, plus de disponibilité au monde, aux rencontres, au hasard, comme le dit Freud. Ce sont deux pratiques de l’étonnement. La psychanalyse et la littérature ont en commun le refus de la catégorie, de la case et du cas », déclarait-elle à cette occasion. Faut-il voir dans cette dernière partie du propos une mise en abyme ? Car c’est exactement ce dont il s’agit ici, dans cette revue. Ses intentions, je veux dire : décloisonner les catégories, brouiller les cases (comme qui dirait brouiller les pistes) et aggraver (au sens, positif, d’approfondir) son cas. Cette recherche constante des singularités n’est certes pas toujours évidente, dans les choix éditoriaux s’entend, mais elle est stimulante, et c’est là sans doute l’essentiel.

 

 

Anthony Dufraisse