Images documentaires : Dossier Alain Cavalier

On a pu voir récemment au cinéma – quand on avait pas trop loin de chez soi  l’une des huit ou neuf salles qui la projetaient malgré une campagne promotionnelle imposante – la série documentaire d’Alain Cavalier intitulée Six portraits XL.

 

 

Que l’on ait eu la chance de les pouvoir voir ou qu’on ait juste salivé en attendant d’acheter un dvd ou télécharger ces films, qu’on ait vu la série voisine qui les précédait – 24 Portraits – ou qu’on y connaisse que pouic, on pourra lire un beau numéro d’Images documentaires qui se centre sur le travail de ce cinéaste atypique qui invente une familiarité extraordinaire et fait du geste même de filmer une part de la vie.

 

Car Alain Cavalier qui a tourné avec des comédiens célèbres comme Alain Delon, Jean-Louis Trintignant, Michel Piccoli, Catherine Deneuve, Léa Massari ou Romy Schneider, choisit (s’il l’on excepte Pater récemment) de s’écarter de la fiction, du film dans ce qu’il a de classique et de narratif, pour imaginer un autre rapport à l’image, au cadre, au récit, à la réalité. Il semble donc évident, au vu de ce basculement et de cette pratique, comme de cette actualité, qu’Images documentaires se penche, de manière détaillée et précise, comme toujours, sur le travail de ce cinéaste comme à côté des autres.

 

Ces portraits donc ! Et l’on voudrait comme insister sur ce démonstratif qui semble les désigner précisément, leur conférer un statut d’objets d’une grande proximité. Ils sont, écrit Catherine Blangonnet-Auer dans la présentation du numéro : « Plus encore que des rencontres humaines rares et émouvantes, les deux séries offrent au spectateur des moments de vie, instants arrachés à la disparition et à l’oubli, véritables petits ‘miracles de cinéma’. » Et c’est bien ce qui ressort de la lecture de ce numéro intense, assez bref, comme concentré. Toutes les interventions, quel que soit l’angle qu’elles adoptent, semblent exprimer un rapport singulier aux êtres, à leur environnement, tout autant qu’à l’intériorité du cinéaste, à soi tout simplement.

 

Alain Cavalier par Erling Mandelmann, 1986

 

Comme si le cinéma de Cavalier, les images qu’il propose, inventaient une familiarité critique, ou plus simplement encore, un lieu, un cadre, qui accueille l’autre en s’y repensant sans cesse. Très matériel, son cinéma ne se limite pas à ce qu’il montre, à ce qu’il entend, à ce qu’il décrit. Non, il crée, on serait tenté d’écrire métabolise, un discours cinématographique qui ne peut se tenir qu’en se laissant voir. Il n’y a pas de limites de la pratique et du sens, de la forme et du discours dans ces films. Le cinéaste s’engage complètement dans les images qu’il tourne, dans la parole qu’il recueille, dans les formes du réel qu’il saisit. Il leur offre une vacance.

 

Le metteur en scène est présent dans ses films, on l’entend, il y intervient. Il ne filme pas du dehors, mais s’intègre à ce qu’il filme. Ainsi, dans son très bon article, Cédric Mal écrit : « Alain Cavalier ne filme pas des personnages : il documente des relations. » Que l’on se plonge dans le portrait de Cavalier que signe Natacha Thiéry en clôture du dossier ou les textes davantage centrés sur des sujets singuliers, on perçoit une ouverture, une disponibilité du cinéaste. On lira les textes de Gérald Colas qui perçoit dans le travail de Cavalier une modification radicale et profonde de la matière documentaire, de sa conception, ou celui de Charlotte Garson qui, dans « Sur le métier », considère la relation du film au portrait. Cette manière de filmer, nous disent les contributeurs de ce numéro vif, nous entraîne à regarder les images différemment, dans une proximité distante en quelque sorte, comme si, paradoxalement, l’investissement, la subjectivité, permettaient une distanciation critique. C’est l’écart qui passionne à la lecture du numéro.

 

 

Comme dans chaque livraison d’Images documentaires, on pourra lire une série de recensions tout à fait passionnantes de films sortis récemment : Premières solitudes de Claire Simon, Unas preguntas de Kristina Konrad, Oltremare de Loredana Bianconi, L’île au trésor de Guillaume Brac ou L’envers d’une histoire de Mila Turajlic. Et surtout, elle comprend une nouvelle rubrique intitulée « Trajectoire » qui, dans chaque numéro à venir, se centrera sur un jeune cinéaste dont les premiers pas, les premières images, les premiers films, stimulent les spectateurs et la rédaction. Consacrée à Laetitia Carton – dont Le grand bal a connu un vrai succès lors du dernier festival de Cannes -, il revient sur La Pieuvre (2009) et J’avancerai vers toi avec des yeux de sourds (2015), percevant dans le travail de la cinéaste un mouvement cohérent et généreux. Une autre manière d’accueillir, probablement.

 

Hugo Pradelle