Images documentaires : les images sont partout

 

 

 

Nous vivons entourés d’images. Notre réalité en semble saturée. Et leur diversité, en sus de leur omniprésence, pose question. Publicités, réseaux sociaux, écrans partout, télévision, internet, tablettes, téléphones, applications…On a tendance, par commodité probablement, par paresse aussi, à se dire qu’elles sont trop nombreuses, polluantes, envahissantes. Et qu’elles perdent, par leur profusion même, leur sens. Mais, ce serait oublier que l’inflation des images, des supports, des techniques, provoque également une multiplication des discours qui les pensent et des formes qui s’inventent pour s’en saisir.

C’est de cette correspondance que se saisit le dossier du nouveau numéro d’Images documentaires qui s’intitule « images.net ». Les cinéastes produisent des formes filmiques qui s’imaginent dans ce mouvement même qui occupe ici à la fois des analyses et des entretiens qui tentent de circonscrire quelques enjeux majeurs de ces pratiques cinématographiques nouvelles (elles existent depuis pas mal de temps quand même !) et interroge leur passage d’un support à l’autre et surtout la responsabilité que leur utilisation implique. C’est une question importante pour la lisibilité de corpus hybrides et la perception des discours des documentaristes.

 

 

 

Le numéro s’ouvre sur un entretien nourri avec David Dufresne dont le film, Un pays qui se tient sage, a, malgré la pandémie mondiale, agité un certain nombre de débats assez vifs. En construisant un film à partir d’un montage de vidéos filmées avec des portables pour élaborer un contre discours aux médias et au pouvoir politique, il interroge la réalité, la manière dont on la raconte, la responsabilité de celui qui recompose ces images disparates. Mais, de manière plus étonnante, il se questionne sur leur potentiel émotionnel, sur ce qu’elles provoquent. Il élabore un discours de légitimation de ces images tournées sur le vif, sans support technique et les abordent comme des outils de cinéma et pas simplement comme une source documentaire. Et il est bien vrai que ce jeu d’échelle, de nature, des images semble vraiment nécessaire aujourd’hui. L’entretien, riche, précis, ouvre la porte à des réflexions sur la manière dont on reconstitue un discours propre avec les images des autres.

 

C’est ce qui occupe Marion Bonneau qui nous parle des films Grégoire Beil et Shengze Zhu – Roman national et Present. Perfect. Ces films sont construits à partir d’applications qui diffusent des images live et continues faisant d’existences individuelles (plus ou moins mises en scène) des évènements. On s’interroge sur la mémoire de ces images et de ces flux, sur leur statut, la place de celui qui regarde comme de celui qui s’expose. Plus clairement informatif, on s’intéressera à deux films qui, eux-aussi, se construisent à partir d’images différentes qui se saisissent d’un événement politique et en montre une version alternative. Gabriel Bortzmeyer analyse ainsi The Uprising de Peter Snowdon qui utilise des images issues de youtube pour observer la révolution tunisienne, alors qu’Annick Peigné-Giuly revient sur les trois films que Philippe Rouy a consacré à la catastrophe nucléaire de Fukushima. La question qui anime ce numéro s’impose avec force – que faire de ces images, comment les lire, les regarder, quels discours soutiennent-t-elles, quel est leur statut, que signifie le geste des cinéastes qui les reprennent ?

 

 

On réalise bien vite que ces enjeux sont majeurs pour le monde d’aujourd’hui. Car à la pluralité des gestes filmiques, à la diversification de leur production, il faut inventer des manières de produire des films différentes et d’élaborer des discours critiques qui sachent s’en saisir le mieux possible. C’est ce à quoi s’attelle l’équipe d’Images documentaires avec une certaine efficacité modeste. Pas de grands discours théoriques plus ou moins fumeux ! Comme toujours, la revue considère des objets singuliers, tente de les mettre en perspective et nous laisse champ libre pour nourrir une réflexion impérieuse sur la façon dont on se débrouille des images qui sont dorénavant partout.

 

 

Hugo Pradelle