Territoire de 303, territoire perdu ?

 

La revue 303, comme nombre d’autres acteurs culturels régionaux, est frappée de plein fouet par les réductions budgétaires drastiques décidées unilatéralement par la présidence de la région Pays de la Loire. Exposant fidèle du Salon de la revue, elle repose sur équipe de salariés investis et obéit à une démarche profondément liée à son territoire. La situation de 303 prédit-elle d’autres catastrophes dans le milieu des revues et pour un travail éditorial déjà difficile ? Comment réagir ? Comment résister ?  Inquiète, Ent’revues donne la parole à cette belle revue. 

 

 

 

303 est une revue dont le projet est fondamentalement lié à un territoire. Comment fonctionne-t-elle et comment envisagez-vous sa portée ?

 

303 arts, recherches, créations est une revue culturelle de parution trimestrielle qui offre un regard et une réflexion sur le patrimoine vivant, artistique et culturel des Pays de la Loire depuis quarante ans. Les sujets abordés visent à considérer cette région comme un point d’ancrage et un lieu d’interactions, en mettant ses spécificités en perspective avec des problématiques globales et des enjeux qui vont au-delà des frontières de ce territoire. Si la revue est très identifiée en Pays de la Loire, elle est aussi diffusée plus largement dans les librairies francophones et par abonnement. Elle touche aussi bien des lecteurs qui ont un lien avec la région que des personnes sensibles aux thèmes développés, à l’approche éditoriale et au design graphique. La revue 303 est éditée et diffusée par l’association du même nom, qui emploie une équipe de cinq salariées. Elle est dotée d’un comité de rédaction qui se réunit trois à quatre fois par an pour débattre de la ligne éditoriale, des sujets abordés dans les dossiers thématiques et de leur traitement. Les membres du comité sont des contributeurs réguliers de la revue.

 

 

Si 303 est une si belle revue et qu’elle est si abordable, c’est grâce aux investissements locaux, aux financements connexes, au soutien du politique…

 

Une revue comme 303 ne pourrait en effet pas exister sans un soutien extérieur. Depuis quarante années, la Région Pays de la Loire contribue au fonctionnement de l’association 303 pour permettre à la revue d’exister et d’être accessible à un prix abordable. Malgré les alternances politiques le Conseil régional a toujours soutenu 303 en respectant son indépendance éditoriale. Le revue 303, pionnière des mooks, se distingue par l’exigence des contenus, mais aussi par le soin accordé à sa réalisation (reproduction des images, choix du papier, finitions, respect d’un modèle vertueux de production et de diffusion). Ces choix ont un coût qui peut difficilement être répercuté sur le prix de vente, et qui ne pourrait pas être supporté sans apport extérieur.

 

 

Aujourd’hui, la revue fait face à une grave crise qui fait suite aux décisions budgétaires brutales et unilatérales de la Région Pays de la Loire de diminuer les financements d’un grand nombre d’acteurs de la culture, de l’ESS et du social.

 

Effectivement, nous avons été informés par la Région qu’une diminution de 50 % de la subvention interviendra en 2025, avant un arrêt total annoncé en 2026.

 

 

Ce choix semble brusque et quelque peu déraisonnable.

 

Nous sommes en effet face à une situation inédite. Le désengagement de la Région n’a fait l’objet d’aucune concertation ni préparation. Comme bon nombre d’acteurs, nous avons été informés début décembre 2024 sans préavis d’une baisse qui remet en cause notre activité, alors que de nombreux projets sont déjà engagés pour l’année à venir.

 

 

Quelles conséquences pour 303 ?

 

Pour 303 les conséquences sont considérables. 303 est en effet un cas atypique puisque l’association est largement soutenue par la collectivité régionale depuis tant d’années, 303 a toujours été le bras armé de la Région pour la valorisation et la diffusion d’une de ses compétences obligatoires : l’inventaire du patrimoine culturel. Pour ces raisons, la Région est sa seule source de financement de 303 en dehors de la vente de la revue. Avec le retrait de la subvention, nous perdons le socle qui nous permet d’exister. Nous perdons aussi la particularité de 303 dans le paysage éditorial : l’ancrage territorial de la revue, un travail unique au long terme sur une région, un positionnement assimilable à une délégation de service public avec l’esprit qui y est associé. Nous travaillons à mettre en place un nouveau modèle économique qui pourrait s’appuyer sur des financements privés, mais nous avons très peu de temps devant nous, quelques semaines tout au plus. Car avec la moitié de notre subvention en 2025 et la trésorerie dont nous disposons, il nous faut trouver des solutions d’ici avril 2025 pour ne pas être contraints de procéder au licenciement économique de l’équipe au cours du dernier trimestre de l’année. Se pose aussi la question de l’ensemble du fonds, qui n’est pas encore numérisé. Nous œuvrons depuis six mois à la mise en ligne en accès libre des numéros parus entre 1984 et 1999 avec la plateforme Persée. C’est un travail considérable puisque nous contactons l’ensemble des auteurs et leurs ayants-droits pour obtenir leur accord. Nous n’aurons jamais le temps d’achever ce travail, ni de le prolonger à l’ensemble jusqu’aux parutions plus récentes de la revue 303, ce qui nous paraît pourtant indispensable si une cessation d’activité devait intervenir, pour les générations futures et la recherche.

 

 

Et les autres revues de la région ?

 

Les autres revues de la région sont dans une situation différente compte tenu du modèle qui a présidé à leur création, mais elles vont être empêchées par les décisions de la Région du fait de la suppression des aides octroyées aux projets, à la mobilité pour la participation à des salons et événements, et de l’arrêt de certaines manifestations dédiées au livre dans la région faute de financements suffisants.

 

 

Comment réagir ? Collectivement ? Seuls ? Comment travaillez-vous avec les autres publications et acteurs du secteur pour remédier ou résister à ces amputations budgétaires ?

 

Nous nous associons à la mobilisation collective des acteurs de la culture, du social, de l’écologie suite aux annonces de la Région. Nous sommes en lien avec Mobilis, le pôle régional des acteurs du livre et de la lecture et la Maison Julien Gracq, qui sont dans la même situation que nous.

 

 

Et le public ? Les libraires ? Les élus ?

 

Fin 2024, de nombreuses personnes ont adhéré à l’association ou se sont abonnées à la revue pour témoigner de leur soutien et de l’importance qu’ils accordent à la revue. Nous avons écrit à de nombreux élus, maires et adjoints à la culture des villes de la région, conseillers départementaux et régionaux, sénateurs, préfets, au ministère de la culture…

Nous avons reçu quelques réponses de personnes qui se disent consternés par la situation et qui formulent tout l’attachement qu’elles ont à 303, sans avoir de réelle marge de manœuvre pour nous venir en aide. La ville de La Flèche, dans la Sarthe, organise une soirée spéciale en soutien aux acteurs du livre des Pays de Loire à l’occasion de la Nuit de la lecture, dans son joli théâtre. La revue 303 en est l’invitée d’honneur. De telles initiatives réchauffent le cœur.

 

 

 

Mais ce n’est pas qu’une revue qui est menacée. Ce sont des emplois. Un tissu économique.

 

Oui, au-delà des cinq salariées en CDI qui risquent de perdre leur emploi à très court terme, 303 anime un écosystème régional dynamique. Ses activités soutiennent et font vivre chaque année des auteurs (rédacteurs, illustrateurs, photographes), des graphistes, et participent aussi à tout un écosystème vertueux en lien étroit avec l’ensemble des maillons de la chaîne du livre : des imprimeurs, des diffuseurs, des librairies et des bibliothèques.

 

 

Aviez-vous imaginé un désinvestissement (même moins drastique) des pouvoirs publics dans vos activités ?

 

Aucun indicateur ne nous permettait d’envisager des décisions aussi rapides et radicales. Nous avons été informés en juillet 2024 que des efforts seraient demandés à l’ensemble des acteurs, mais la machine semble s’être emballée après l’été.

 

 

La situation très difficile que vous devez affronter aujourd’hui n’est pas isolée. Ce recul, ce désintérêt flagrant et assumé des élus pour la culture et encore plus le livre et les revues apparaît plus qu’inquiétant. Les difficultés de 303 préfigurent-elle les mêmes situations ailleurs ?

 

Malheureusement les décisions de la Région Pays de la Loire créent un précédent et pourraient « inspirer » d’autres collectivités et responsables politiques. Elles semblent remettre totalement en cause le travail commun et les convictions qui ont permis d’échafauder, au fil des ans, une structuration du monde culturel et associatif qui reste fragile. Ces décisions mettent en danger la diversité des expressions artistiques et sociales, la recherche, et l’accès du plus grand nombre à la culture sous toutes ses formes. Ce recul est très inquiétant et nous espérons que les Pays de la Loire resteront un cas isolé.

 

Coordonnées de la revue