À cœur ouvert

Enrique Simonet, « Anatomie du cœur ; …Et elle avait un cœur ; L’autopsie » (1890) © CC0/Domaine public/Wikipedia

 

 

Un format 15 x 22, 150 pages avec variations typographiques suivant les textes, et en couverture, un tableau – L’Autopsie, parfois aussi intitulé Anatomie du cœur, 1890 – du peintre espagnol Enrique Simonet… Nouvelle publication, La Raison du poème, contrairement à ce que son titre laisse penser, « n’est pas une revue de poésie », nous précisent d’emblée, dans la déclaration d’intention, les malouines éditions Ardavena. En tout cas, pas que de poésie. Clarifions les choses : « Elle accueille en son sein toutes sortes de textes, récits intimistes, textes expérimentaux, dessins, photos, témoignages, interviews, extraits de romans, d’essais… » Mais alors pourquoi ce titre, demandera-t-on ? Sans doute faut-il y entendre une certaine manière artistique d’être au monde, une disponibilité, une écoute propre à susciter la création. On pourrait tout aussi bien parler d’une dynamique émotionnelle ou d’une praxis.

 

Portrait de Maurice Rollinat (auteur inconnu, non daté) © CC0/Domaine public/Wikipedia

Ce à quoi tient particulièrement l’éditeur, c’est à faire cohabiter dans l’espace de la revue « des auteurs des siècles passés et des auteurs vivants ». S’agissant des anciens, pour ainsi dire, on nous donne des extraits d’une douzaine d’auteurs sur la petite quarantaine que compte, au total, ce numéro inaugural portant sur le thème du cœur. Présentés de façon brute, les extraits auraient mérité quelques lignes sinon d’introduction, du moins de contextualisation. Et pour cause : si on connaît évidemment tous (enfin, espérons-le !) Apollinaire, Voltaire, La Bruyère, Barbey d’Aurevilly ou encore Pascal et Léon Bloy, plus rares sont celles et ceux à même de situer Judith Gautier, Rachilde, Joë Bousquet et a fortiori Cora Pearl, Henri d’Argis ou Maurice Rollinat*. Un peu de pédagogie sur le volet des aînés ne serait donc pas de trop ; le prochain numéro, qui devrait paraître bientôt en ce printemps, rectifiera peut-être la chose.

 

Du côté des auteurs contemporains, plusieurs contributions, réellement de qualité, retiennent l’attention. Pour la poésie, citons en particulier Aline Angoustures, Valérie Harkness, Julien Cendres ou bien Grégory Rateau. Pour le récit,  Pascale Privey, Anna Jouy, Anne Vassivière sans oublier Pierre Ahnne, se détachent de l’ensemble. On a été moins réceptif aux autres textes (parfois vaguement abscons) mais certains lecteurs sauront peut-être mieux les apprécier que nous. De même a-t-on moyennement accroché aux choix d’illustrations ; parce qu’en noir et blanc ? parce que peu de notre goût ? Sans doute manque-t-il là aussi quelques mots d’accompagnement autour de Bernadette Février ou Ramuntcho Matta, pour ne citer que ces deux artistes-là. Quoi qu’il en soit de nos préférences personnelles (qui importent somme toute assez peu), notons surtout que les uns et les autres se font les interprètes de toutes les occurrences du cœur, alternant réalités organique, affective, symbolique, etc. « Le cœur est vraiment le centre, la priorité. C’est réellement là que tout se joue », explique un chirurgien pédiatrique dans un entretien qui clôt cette première livraison. Si, dans la bouche de ce jeune docteur (un certain Bastien Landréat), le propos concerne ici spécifiquement la physiologie, on peut le généraliser à la vie même en tant qu’elle est une succession d’émotions – de coups au cœur, donc. Ce que réserve à sa façon, entre systoles et diastoles, La Raison du poème.

 

Anthony Dufraisse

 

* La revue aurait tout aussi bien pu publier – sur ce thème du cœur c’eût été approprié ! –  du Feydeau, en clin d’œil à l’adresse d’Ardavena à Saint-Malo. Le cœur contrarié, c’est le fond de commerce du théâtre boulevardier…