La Polygraphe

par Éric Dussert
1998, in La Revue des revues no 25

Au même titre que l’impression d’un premier numéro, fâcheries, ruptures et claquements de porte sont les moments essentiels de la carrière d’une revue. Pour autant, ces mouvements d’humeur esthétiques ou relationnels sont des phénomènes ambivalents. Ils participent à la fois d’un principe négatif entraînant la mort d’un titre et l’explosion d’une équipe, et d’un autre, positif, qui recompose et fonde à nouveau.
Dans le cas de La Main de singe dirigée par les Poncet père et fils depuis 1991, les deux vont de pair. D’ailleurs, si l’on en croit son ex-éditeur Henri Poncet (le père), la fondation de La Polygraphe n’est pas le fruit d’une conflagration. C’est la trop grande interpénétration de l’intimité familiale et des intérêts éditoriaux – entendons un souci d’indépendance doublé probablement d’orientations divergentes – qui est à l’origine de cette sécession douce. Après une période de flottement qui s’est achevée par la publication du numéro 20 de La Main de singe, le duumvirat Poncet a opté pour la séparation de biens. Celle-ci s’est conclue par le transfert de La Main de singe aux éditions lyonnaises La Fosse-aux-Ours sous la conduite de Dominique Poncet et par la fondation à l’enseigne de Comp’Act de La Polygraphe.
En délimitant pour ce nouveau titre un champ essentiellement francophone – sans exclusive comme l’atteste la présence d’Héraclite, d’Emily Dickinson ou des germanophones Christine Lavant et Hans Christoph Buch –, Henri Poncet reconnaît le rôle joué par son fils à La Main de singe dans le domaine de la littérature étrangère. Dans un préambule au ton inhabituel où l’éditeur dit en substance l’aversion qu’il éprouve pour les règles commerciales qui régissent la littérature et le plaisir qu’il prend à façonner ses propres livres, La Polygraphe déclare un objectif simple : offrir un espace aux auteurs marginalisés.
Henri Poncet veut donner leur place aux jeunes et aux vétérans contre ce qu’il nomme les censures économique et médiatique. De même, il n’exclut aucune forme de l’écriture contemporaine. Emblématique, le sous-titre « Différences d’écrits » réunit donc les proses poétiques de Jean Todrani, Roger Dextre, Alain Roussel et les expérimentations de Jean Lewinski (« la la la ») ou de l’anonyme Onuma Nemon dont le projet ambitieux de “Cosmographie” a déjà attiré l’attention de L’Infini et des éditions Tristram. Sa prose, une sorte de longue cataracte verbale, exerce une fascination que certains « trucs » ne parviennent pas à rompre.
Pour le reste, La Polygraphe qui a déjà apposé sa marque sur plusieurs ouvrages de Comp’Act entre naturellement dans la catégorie des revues d’éditeur. Elle promet cependant de revenir à une pratique oubliée dans le cadre de sa rubrique en gestation « Mots de passe ». Destinée à offrir des brèves organisées, celle-ci devrait intégrer des « ponctuations de lecteurs, correspondants, écrivains » dans le but de relater la vie occulte des Lettres. La littérature ne passera décidément jamais par les seuls canaux reconnus.


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