Documentaires hybrides

 

Peut-on dire d’Images documentairesiDoc en abrégé – qu’elle est une revue de référence en son domaine ? Oui, et plutôt deux fois qu’une. Cette publication existe depuis 1993 et elle s’emploie à toujours mieux comprendre et promouvoir le cinéma documentaire dans toutes ses facettes et ses sensibilités. Les dossiers thématiques lui permettent de creuser un sujet transversal ou de mettre à l’honneur une figure particulière, et les critiques de films de coller à l’actualité de la production. La plus récente livraison qu’on a eue entre les mains, celle de mars 2025 (n°115), s’intitule « F[r]iction, des acteurs dans le documentaire ». « Quels effets la présence d’acteurs dans des dispositifs documentaires produit-elle sur le spectateur ? », c’est la question que pose ce numéro, nourrissant sa réflexion sur « les formes hybrides entre documentaire et fiction » à travers, notamment, les films plus ou moins récents de Mona Achache, Kaouther Ben Hania (Lion d’Argent à Venise ce week-end), Alexe Poukine, Safia Benhaïm ou encore Marc Isaacs.

 

Sous la forme d’articles ou d’entretiens, les contributions interrogent la nature de ce cinéma composite, et d’abord, peut-être, la portée de la parole qui y circule. Ce sont « des dispositifs qui rompent avec les codes narratifs du genre et qui brouillent les repères, les possibilités pour le spectateur de démêler les différents registres de parole qui coexistent, s’entrecroisent », écrit ainsi Gérald Collas à propos, par exemple, de Little Girl Blue et des Filles d’Olfa, respectivement réalisés par Mona Achache et Kaouther Ben Hania. « Depuis mes débuts, j’aime explorer les liens ténus entre fiction et documentaire. Ça traverse tous mes films », confie cette dernière cinéaste, questionnée sur l’hybridation des formes dans son travail. « L’introduction d’une part de fiction » dans la « configuration documentaire », « le brouillage des frontières » entre réel et invention, « les formes de transferts » de l’un à l’autre et leur articulation, Romain Lefebvre s’y intéresse en regardant, pour sa part, Sauve qui peut d’Alexe Poukine, tandis que Safia Benhaïm accorde un entretien au sujet de Libertalia, y soulignant « l’ambiguïté très forte, le frottement très fort » entre fiction et documentaire. En se penchant sur la trajectoire du cinéaste anglais Marc Isaacs (qui a signé, entre autres, Lift, The Filmmaker’s House ou This Blessed Plot, le dernier en date, c’était en 2023), Harry Bos de son côté décale légèrement la focale, relativisant « la distinction un peu scolaire entre fiction et documentaire ». Ce qu’illustre à ses yeux le travail du Britannique, c’est d’abord un attachement au principe d’authenticité : « La vérité n’est pas dans la réalité mais dans l’authenticité. Du sujet comme du regard. »

 

Anthony Dufraisse