Linéa

Revue de littérature

par Jérôme Duwa
2003, in La Revue des revues no 34

Qui sont les poètes d’aujourd’hui ? Après un bref inventaire, on s’aperçoit souvent que, passées les années soixante ou 70, les noms nous manquent.
On peut avoir prêté l’oreille aux Lettristes, lu les derniers grands surréalistes du groupe parisien (Jean-Pierre Duprey et Joyce Mansour), et même, ceux moins reconnus (Jean-Louis Bédouin, Gérard Legrand, Jean Schuster) ; on peut encore s’être laissé guider par Breton et ouvrir, après Aimé Césaire, les recueils de Malcolm de Chazal ou Magloire-Saint-Aude. Mais précisément, depuis la mort en 1966 de l’auteur du Révolver à cheveux blancs, la place de chercheur de l’or du temps reste à pourvoir.
De 1965 à 1980, la saison poétique demeure fertile, comme nous le rappelle opportunément le dossier principal de Linea : l’École de Rochefort, Ponge, Guillevic, Du Bouchet, Tel Quel, Venaille, Heidsieck (1)…
Mais pour distinguer et faire entendre aujourd’hui les autres voix, sinon essentielles du moins de quelque grandeur, qui se sont développées durant cette période dans une ombre encore plus profonde, il convient d’avoir recours au crible des revues où la poésie reste dominante. Si on en répertorie à ce jour à peu près cent vingt-sept (selon le catalogue d’Ent’revues), rares sont celles qui bénéficient d’une édition régulière.
Au printemps 2003, Linea a tracé sa première trajectoire dans le non-frayé de la création poétique contemporaine en proposant un dossier Daniel Leduc. Le poète, né à Paris en 1950, est l’auteur depuis 1988 de quatorze recueils. Un choix de ses poèmes publiés, ainsi que plusieurs inédits, permet de se familiariser avec ce qu’une lecture novice qualifierait volontiers de piété poétique, évidemment à bonne distance de toute vaine agitation d’encensoir. Le commentateur qui tente une périlleuse approche philosophique de la poésie de Leduc rappelle d’ailleurs significativement le projet de Bonnefoy :

« aller si près des choses impermanentes du monde que cette impermanence se découvre substance, se fasse joie, et de ce fait le poème sera la nouvelle écriture sainte. »
Citons Leduc dans L’Homme séculaire (Éditions L’Harmattan, 1993) :

« Il a pris le livre entre les mains. Un poids de solitude pesait sur son regard.
Il a puisé dans chaque page l’écume, et le sel de la vie. »

Dans la connaissance rapprochée de La respiration du monde (Éditions Arcam, 1988), la célébration de soi revient, comme pour tout sectateur du grand voyant, à celle de l’autre :

« Ma mémoire est un temple
où l’on vénère l’oubli
je m’y recueille
souvent
puis me tourne vers l’autre. »

« Il n’est pas de tour complet du moi sans un passage à fleur de chair » (Le chant du verbe, Éditions L’Harmattan, 1995) :

« L’épiderme est la pluie
qui sépare le ciel
de la terre.
Que le verbe reste au cœur des textes les plus récents de Leduc, réunis sous le titre Partage de la parole, on peut s’en convaincre facilement :
« Je t’ai
écartelée
entre mes lèvres, longue phrase
de mon désir. Je te prononce
Entre tes jambes. Le jour te lève. »

Outre deux analyses concernant Nathalie Sarraute et Italo Calvino, Linea offre encore dans le domaine poétique « tous les registres de voix, de la retenue au partage », comme l’annonce en préambule Pierre Maubé, directeur de la publication. On découvre ainsi à la rubrique Création deux nouvelles (Sylvie Huguet ; Pierre-Olivier Costa) et un ensemble de poèmes signé Gérard Bocholier, Gilles Cheval, Chantal Dupuy, Jeanine Salesse, Anelé Kersyté-Josadé, Tomaz Salamun, Marc Fontana, Jean Manbrino, Werner Mabersy ; l’attention prêtée à ces deux derniers se manifeste aussi dans l’ultime partie de la revue intitulée Notes et critiques. Suggestions de lecture, où se poursuit une réflexion, qui paraît décidée à contester avec persévérance les mots du poète lithuanien Anelé Kersyté-Josadé (Carnets de Vilnius, Éditions R. Paknys, 2000) :

« Contre le mur rayonnant du soir. Les mots se brisent.
Le silence est patient. »

(1). On complétera cette liste non exhaustive en se reportant par exemple à l’ouvrage si utile et malheureusement épuisé, publié par le Centre international de poésie Marseille : Cent titres 1 Poésie française contemporaine (de l’après-guerre à aujourd’hui), CipM, 1999. Il est toutefois possible de le télécharger sur le site du CipM : www. cipmarseille.com.


Partager cet article