La Grande Conjonction

Notre ami et collaborateur Anthony Dufraisse, également directeur de la revue Patchworknous a fait parvenir ce texte où il dit mieux que nous ne pourrions le faire la belle énergie qui anime, par la grâce des revues, le Salon de la revue et l’éphémère communauté qu’il compose…

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Chaque année, à la mi-octobre, se produit un bien étrange phénomène astronomique. Un alignement des planètes – car les revues, n’est-ce pas, sont des astres – conduit, Halle des Blancs-Manteaux à Paris, à une grande et remuante conjonction. Tout ce que l’univers des revues compte d’acteurs, premiers rôles et figurants, convergent en un même lieu. Rythmé par les allées et venues des habitués de l’événement (exposants, sympathisants de longue date, amis des amis, vieilles connaissances, etc.) et la déambulation de simples curieux de passage dans le quartier du Marais toujours très animé le week-end, le Salon de la Revue bruisse de vie, d’entrain et d’envie. Le moment est à chaque fois exaltant. On y fait provision de rencontres et de découvertes ; oui, on y puise, entre trouvailles et retrouvailles, de l’énergie, cette énergie qui, le reste de l’année, nous fait parfois défaut, quand la fatigue et le découragement veulent prendre le dessus. On vient là pour se réunir, donner l’accolade à ceux qu’une fois dans l’année seulement on croisera ; pour se nourrir, encore et encore, de l’éternel renouvellement d’un univers qui surprend toujours par son foisonnement. Dans ce rassemblement des lecteurs, des amateurs de revues et de ceux que l’on peut appeler les pratiquants (terme que j’emploie dans sa connotation plus sportive que religieuse, tant c’est de l’endurance d’animer sur le temps long une revue), il y a quelque chose comme, allez, osons le mot, une communauté ouverte. D’avoir été tant et plus mis à toutes les sauces, le mot fait peur d’habitude ; pour une fois, il faut le prendre en bonne part, l’entendre au sens de famille élargie, étendue, et, surtout, accueillante, toujours prête à donner l’hospitalité aux nouveaux venus, timides encore, qui font leurs premiers pas, babillant. Je n’ignore pas, évidemment, le train de vie cahin-caha de certaines revues, les soucis, les tracas, les problèmes qui accablent telle ou telle publication, contrariétés mises entre parenthèses le temps de l’événement. Pas plus que je n’ignore les divergences, les inimitiés, les désaccords qui peuvent exister, du fait de l’histoire ou des caractères, entre certaines revues, certaines personnalités. Mais enfin le fait est là, flagrant : toutes sont là. Elles font acte de présence, elles donnent vie ensemble à un même mouvement, participent d’un même élan. C’est ce sentiment d’une commune appartenance que je ressens et j’ai voulu le dire ici, en quelques mots. Nous autres qui aimons et/ou animons des revues, nous savons, nous sentons, nous voyons à travers ce Salon de la Revue ce qu’est l’engagement, ce qu’est la passion, ce qu’est, somme toute, le partage en acte ; nous l’éprouvons ici et maintenant et en cela cette manifestation est précieuse. Et si je dois dire encore ce qui me touche le plus dans ce monde-là des revues qui, deux jours durant, font corps, ce sont, peut-être, les voisinages inattendus. Quand les anciens, qu’une certaine lassitude gagne parfois, se ressourcent au contact d’apprentis revuistes dont les facultés d’enthousiasme sont, fort heureusement, neuves encore. Quand les larges épaules de revues bien établies encadrent la silhouette fragile d’une publication naissante, et dont c’est là la première apparition publique. Cette proximité crée un contraste attendrissant, finalement à l’image de la vie même, avec des générations qui aujourd’hui se côtoient et qui, demain, se relaieront. C’est bel et bien ça, une communauté ouverte : mêler, combiner, bref, mélanger des gens et des genres. Peu importe le temps que l’on y passe : on sort du Salon de la Revue gonflé à bloc pour toute une année et conforté dans l’idée que cet univers-là, décidément, est singulier, à nul autre pareil.

  Anthony Dufraisse

* On pourra également lire le long article de Maryse Emel  » C’est quoi un Salon de la revue »publié sur www.nonfiction.fr .