Équivalentes de l’affaire Dreyfus pour ses contemporains, les trois journées de février 1934 s’inscrivent, est-il dit, en « lettres de feu » dans l’histoire de l’antifascisme en France. Bien que l’historiographie sur ce sujet soit abondante, la revue Aden, sous-titrée Paul Nizan et les années 30 (no 15, octobre 2016, 274 pages, 26 euros) a eu la bonne idée d’aller interroger non pas l’événement lui-même, mais les représentations qu’en ont donné des écrivains, des militants à partir de leur expérience vécue. Ce qui nous vaut de plonger dans des écrits parfois oubliés, mais surgissant de nouveau, pleins de vie et de passion. Sont ainsi analysés le roman quasi autobiographique d’André Chamson, La Galère (1939), les chroniques de Jean Prévost dans la revue revue Pamphlet[i] et son témoignage romanesque dans La Chasse du matin (1937), l’examen de conscience de Simone de Beauvoir dans La Force de l’âge (1960). Au spectacle de la foule émeutière, le regard d’écrivains fascinés par le fascisme tels Pierre Drieu La Rochelle et Robert Brasillach est confronté à celui des communistes André Wurmser et Louis Aragon.
Les auteurs de la revue font appel aussi à des documents de l’époque, écrits sur le vif, parfois drôles, puisés dans La Révolution prolétarienne, L’Humanité, Marianne, La Jeune révolution. Un dialogue sur le thème « Le front de l’argent contre ceux qui n’en ont pas », oppose malicieusement François Mauriac dans le journal catholique Sept à Ramon Fernandez dans La Nouvelle Revue française. Un curieux texte, tiré des archives du Centre d’histoire sociale du xxe siècle (Paris I) et semble-t-il, jusque-là inédit, le Plan Flamme. Activation socialiste par la propagande antifasciste, suscite l’étonnement et souligne certains égarements de pensée : écrit par un mystérieux médecin russe exilé, Serge Tchakhotine (1889-1973), connu sous le pseudonyme de Docteur Flamme dans les milieux de la SFIO, le texte propose en 9 points à la gauche de s’inspirer de l’esthétique du camp adverse par la méthode dite de la « propagande populaire émotionnelle agressive » !
Une partie du numéro intitulée « Du côté de Paul Nizan », consacrée à la réception des œuvres de Paul Nizan, porte cette fois sur l’accueil des Chiens de garde (1932), dans diverses revues contemporaines comme Plans, Les Nouvelles littéraires, Monde ou Les Cahiers du Sud : les textes reproduits sont accompagnés d’un impressionnant et fort utile appareil critique. Le travail accompli dans les notes, remarquables par leur précision savante, irrigue d’ailleurs l’ensemble des contributions, donnant ainsi une actualité vivante à ces voix du passé. Fort pertinente enfin, la rubrique des comptes rendus dédiée à la production culturelle des années trente.
Jacqueline Pluet
[i] Cf. Emmanuel Bluteau, « Jean Prévost, passage en revues », La Revue des revues, no 51, printemps 2014.