CCP n° 34 : dossier Pierre Reverdy

 

Comme beaucoup de revues, CCP a dû réduire ses ambitions : elle ne publie plus tous les semestres une copieuse série de comptes rendus sur l’actualité éditoriale en France dans le domaine de la poésie (elle le fait désormais « sur la toile« ). Mais elle a pu sauver l’essentiel : les dossiers sur de grands auteurs. Cette livraison est consacrée aux travaux et aux jours de Pierre Reverdy (1889-1960)*. C’est une excellente chose  car cet auteur est devenu désormais un classique, ce qui se traduit dans le langage du commun des lecteurs par « vieille barbe ». Or, Reverdy a joué un rôle important dans la création littéraire du début du XXe siècle, comme poète, bien sûr, mais aussi comme éditeur de la revue Nord-Sud, un article assez complet de Michael Palmer rappelle quel a été le rôle de cette revue que Reverdy finit par faire paraître en mars 1917, qui a compté quatorze livraisons jusqu’à la fin de 1918. Malgré cette durée très brève, cette publication a joué un rôle notoire dans le devenir du cubisme, Picasso et Braque y étant célébrés, mais aussi dans celle du dadaïsme français puisqu’elle a publié Tristan Tzara, André Breton, Philippe Soupault et Louis Aragon. Nord-Sud a eu un rôle aussi important que SIC, périodique dirigé par Pierre Albert-Birot. Mais Reverdy s’est vite éloigné des menées turbulentes des avant-gardes, sans les renier, en s’éloignant de la capitale pour aller s’installer à Solesmes et se consacrer à sa nouvelle foi catholique sans être perturbé par tous les tumultes esthétiques et politiques engendrés par ce petit milieu prêt à en découdre pour l’art et la littérature. Son repli sur lui-même a été préjudiciable à son œuvre. Mais elle a cependant survécu, peut-être avec moins d’éclat que ses grands contemporains. Ses premiers poèmes en prose paraissent en 1915. Deux ans plus part, il fait sortir le Voleur de Talan, un récit autobiographique que Georges Braque aurait dû illustrer. C’est le premier tome d’une trilogie. Les échos se font attendre, mais si Apollinaire se tait, si Max Jacob avait anticipé sa réponse avec le Cornet à dés un an plus tôt, Tristan Tzara en fait l’éloge en 1918. Anne Malaprade raconte avec talent l’histoire de ce livre fondateur. Ses proses courtes organisées en chapitres rappellent, écrit plus loin Yves di Manno le Paterson de William Carlos Williams, ce qui n’est vrai que très relativement. En tout cas, le personnage qu’il a inventé, cette sorte de mage est sorti tout droit de la littérature populaire, dont raffolaient les surréalistes, surtout quand il s’agissait de figures criminelles comme Fantomas. Les différentes études qui sont recueillis dans ce volume nous ouvrent les secrets de sa poétique. Antoine Emaz analyse avec justesse le point de vue formel du poète sur ce qu’il a pu écrire, et l’on comprend que sa posture est double : oui, il tient à une architecture de la forme, mais celle-ci est tributaire de la matière. C’est là une approche très scrupuleuse de sa recherche, qui éclaire bien sa démarche. Pascal Poyet s’essaye à un décryptage très personnel de ses poèmes. Bien sûr, c’est un exercice idiosyncrasique, mais il montre une manière de lire Reverdy sans a priori. Quant à Etienne-Alain Hubert, il sait très bien expliquer le dessein difficile et douloureux de Reverdy dans le Chant des morts.

 

Il m’est impossible de citer ici tous les auteurs, de dire tout le bien que je pense des propos de Jean Daive ou des souvenirs de l’épouse du poète recueillis par Lola Creïs. Ce numéro de CCP est une remarquable introduction à la connaissance de Pierre Reverdy et devrait faire partie de la bibliothèque de l’honnête homme de notre temps, jeune ou moins jeune.

 

Gérard-Georges Lemaire

 

* Nous recevrons CCP autour de ce numéro Reverdy le jeudi 15 février.