TXT 33

Ena Lindenbaur

 

VLAN ! TOC ! VROMB ! CRONCH ! HAN ! VROUM ! ARGH ! AÏE ! MÊÊÊ ! OUIN ! OUILLE ! OUSTE !

Non ! L’auteur de ces lignes n’est pas soudainement atteint du syndrome de Gilles de La Tourette, ni ne régresse totalement ; il ne se met pas à l’invective pulsionnelle, ni à l’onomatopée hystérique ; il ne vitupère ni le lecteur ni l’écrivain, il ne collectionne pas des extraits de phylactères non plus…

 

Il ne fait que citer ! Citer les titres des encarts qui ponctuent ce 33e numéro de la revue TXT, deuxième livraison de la deuxième période, après sa résurrection l’an passé. On retrouve ici la même potacherie sérieuse, le même goût de la provocation, une certaine radicalité, le même sens lucide de la provocation. Surtout, il s’y ordonne un rapport à la poésie, à la poétique, à la langue, au langage… On y fouille notre rapport fondateur à la parole, à ce que l’on choisit d’en inscrire, d’en éprouver. Et ça fait du bien!

 

On retrouve des signatures « classiques » – arf ! le qualificatif les ferait bondir ! – comme celles de Jean-Pierre Verheggen ou de Christian Prigent, celles des animateurs de la revue, Typhaine Garnier, Bruno Fern et Yoann Thommerel, mais aussi celles d’une bande qui se reconnaît : Édith Msika, Jean-Christophe Ozanne, Béatrice Mauri, Éric Clémens… On retrouve un ton, une tonalité, une certaine énergie !

 

En 4e de couverture, cette citation de Hélène Bessette le résume bien :

On écoute.
Pour saisir le peu le bref le langage les voix rapides.
Ils sont fous. Ce sont des sauvages.
On n’en sait rien.
Simili folie. Air de folie.
Une crise.

 

Mais que font ces poètes ensemble, que disent-ils, qu’inscrivent-ils, qu’expriment-ils ? Quelle démarche empruntent-ils, quels chemins tracent-ils ? En circulant dans ce nouveau numéro, on hypothétise, on rencontre des langues, des manières de les disposer, d’en disposer. On y décompose les sons, on y joue beaucoup. On fait comme les gosses qui jouent sur un tapis coloré, essayant de faire rentrer une pièce de bois carrée dans une forme d’étoile !

 

Ainsi, on lira le texte d’Ana Tot : « Il y avait cette chose, forme pleine, devant nous deux, et une autre forme à côté, percée d’un trou. C’était le trou de l’avenir, plus petit que la chose et d’une autre forme. Tout indiquait qu’il serait impossible de faire passer la forme pleine par l’orifice de la forme creuse. Cependant, nous essayâmes, longtemps, ne parvenant ni à élargir le trou ni à réduire la chose, seuls moyens pourtant de l’y faire entrer. Un jour, comme il nous paraissait inutile de poursuivre d’aussi vaines tentatives, nous sûmes en un instant et sans nous concerter que la chose était arrivée devant nous par le trou de l’avenir : pourquoi dès lors faire retourner la forme pleine d’où elle venait ? Nous délaissâmes le trou du passé – il était désormais celui du passé – pour nous tourner vers l’espace tout autour, qui était vaste et propre à accueillir cette chose et bien d’autres encore. […] »

 

 

Question de démarche, de parti pris, de choix esthétique, de positionnement dans l’époque, contre, bref, une affirmation que porte la revue, avec l’énergie collective qu’elle permet. On ne résistera pas alors au texte de Prigent sur le Dodo – comment a-t-on attendu si longtemps pour en lire un d’ailleurs, soit-dit en passant… « Réel, je ne sais ce que c’est. Mon poème parfois le sait. En a même une vague idée ce que j’écris pour comprendre pourquoi je ne peux à tel ou tel moment écrire le poème (ne sachant ni de quoi parler ni quoi dire) ou ne peux en composer que l’ersatz facile qui console du désœuvrement (ainsi le poème du Dodo). »

 

Ce qui frappe à la lecture de ce numéro très dynamique, assez jouissif, sous forme d’almanach (on pense aux sommaires de chaque intermède, aux citations qu’il faut réattribuer, etc.), c’est à quel point l’équipe de TXT passe d’une disposition assertive à une disposition interrogative. Est-ce un changement de l’époque, une prudence, une lucidité ? En tout cas, si la démarche, les positions, semblent continues, elle adopte un timbre plus ludique, plus souple, moins brutal. D’une on est bien heureux que cette revue existe, ait repris du service, et de deux on est sacrément curieux de voir où tout ceci nous emmène !

 

Hugo Pradelle