Dissonances n° 38 : « Feux »

Prenez une grande poêle, apprêtez divers légumes de saison et un assortiment de viandes rouges ou blanches ou les deux après tout que vous taillerez à votre convenance, pas trop gros tout de même : faut que ça rentre… En principe, une bonne vingtaine de morceaux doivent couvrir le fond de votre récipient. Allumez votre feu. Un feu vif. Et faites sauter le tout vivement que ça pleure, s’évapore, colore, rissole et dégage un fumet puissant et complexe, promesse des saveurs à venir. Vous n’aurez pas oublié d’assaisonner : cette recette n’aime ni la fadeur, ni la pâleur. Quatre, six, huit épices… Ne laissez pas trop longtemps mijoter : tout doit rester craquant. Promenez votre nez, goûtez. Quand c’est prêt, dégustez. Attention ça brûle : vous allez pouvoir apprécier les différentes textures des produits, du suave au solide, du moelleux au robuste, du plus doux au plus relevé…

 

Je ne garantis pas que vous aurez réussi un numéro de Dissonances – vous êtes sur la bonne voie – car il faut un tour de main que 38 numéros ont aguerri. C’est un peu cela cette revue qui ne paie pas de mine mais qui cuisine de manière rare des ingrédients – en l’occurrence des textes, proses et poésie et une indispensable pointe d’art – récoltés sur des terres si contrastées qu’on ne les imagine pas se marier dans un même creuset.

 

 

« Feux » c’est donc sa recette d’été (précoce), – ce printemps con-damné n’a pas pour autant empêché la cueillette. Le feu à toutes les sauces : fascinant et terrible, celui de la passion et de la mort, lave et cendres, destruction et nostalgie d’une chaleur – le feu perdu. Brasier rageur (Philippe Labaune), crépitements hallucinés, érotiques/hérétiques et domestiques de Frédéric Fiolof, flammes tendrement cruelles de Christophe Esnault – « c’est avec la peau et les baisers qu’on fait les feux les plus hauts » – qui se souvient d’un film ancien d’Olivier Assayas, L’eau froide. D’autres films passent parmi les feux : Thomas D. Lamouroux, Clément Rossi, Benoît Camus,  quand d’autres textes se déroulent à la manière d’un film : Thierry Covolo, Lionel Lathuille. L’écran brûle-t-il ?

 

Dans ce Dissonances, les femmes (Évelyne Charasse, Aline Fernandez, Miel Pagès, Catherine Bédarida) entretiennent la flamme de la poésie ainsi que Stéphanie Quérité : « Tu tiens, tu tiens, tu tiens, tu tiens, tu t’épuises, tu tiens, tu tiens, tu t’épuises. » Aline Borin, l’artiste invitée, lèche les textes de ses flammes et livre un portfolio animalier.

 

Quant à Alexander Mc Queen, couturier de génie et couturé de partout  (rubrique Di(s)gression) : il s’est bel et bien cramé.

 

« Construire un feu », sublime nouvelle de Jack London et manière experte de Dissonances : s’asseoir autour, partager le frichti. Et se surprendre encore, avec Dissonances, de l’ambivalence du feu : il y a quelque chose de joyeux, d’allègre dans ses flammes qui consument des textes ciselés de brûlures.

 

Vincent Dunois

 

Coordonnées de la revue