Un double numéro de La Barque dans l’arbre

 

Lorsque l’on ouvre le nouveau numéro – les nouveaux numéros devrait-on dire car c’est une livraison double de presque 130 pages – de La Barque dans l’arbre, on réalise combien faire une revue, c’est savoir construire un sommaire. Trouver un équilibre, comme un long couloir dont les portes auraient des couleurs et des tailles différentes et que l’on emprunterait successivement, curieux, disponibles.

 

Il y a dans la revue qu’anime Olivier Gallon quelque chose du balancier : on y lit des textes de tous les horizons, de langues diverses, d’esthétiques variées, mais il y a toujours une sorte de relation qui s’y introduit entre des textes canoniques, de grands auteurs, de maîtres anciens, avec des textes contemporains qui stimulent la curiosité, ouvrent des voies nouvelles. Préside à leur choix un même souci d’exigence, une tenue, une rigueur.

 

C’est que, dans ces pages toujours extraordinairement soignées et sobres, on a le souci de penser ce que c’est qu’un poème, plus largement un texte. Ainsi on lira ces deux strophes de Dominique Grandmont qui pourraient porter ce double sommaire :

 

 

Le mot est le fruit

de ce dont il n’est pas fait

mais qui lui survit comme le chant

des oiseaux précède leur vol

pour faire entrer notre vitesse

 

dans la lenteur d’une lumière

qui retranche tout au ras du sol

sans devoir violer sa parole

avant de la donner puisque

les ronds sur l’eau sont en plus

 

 

Cette double livraison trouve un équilibre remarquable entre les textes contemporains français et étranger. On notera ceux d’Olivier Gallon, de Claire Norrois, d’Alexis Audren ou de Christophe Manon (particulièrement réussi). Deux textes intéressants de Mariangela Guatteri encadrent le numéro comme des paupières et on lira des poèmes d’Arkadi Dragomochtchenko qui valent le détour…

 

Wallace Stevens © Domaine public 

Comme chaque numéro, on peut y découvrir des traductions d’auteurs importants qui s’offrent dans la longueur. Ici, nous pouvons lire une traduction remarquable par Christian Mouze des « Vingt sonnets pour Marie Stuart » de Joseph Brodsky, un texte court de Marina Tsvetaeva, des extraits stimulants d’Ernesto Calzavara, de Jakob Van Hoddis et surtout une nouvelle traduction passionnante des « Aurores en automne » de Wallace Stevens par Nicolas Vatimbella (on pourra en lire une version par Gilles Mourier sur le site Po&sie) dont on ne résiste pas de citer quelque vers :

 

Il se peut que ça vienne demain dans le mot le plus simple,

Presque comme partie de l’innocence, presque,

Presque comme sa partie la plus tendre et la plus vraie.

 

Faire une revue de poésie est une tâche ardue. Il y faut de l’exigence, de la ressource, du désir, de la rigueur. À la lecture de ce double-numéro – ce format est encore plus séduisant –, on se dit que, décidément, cette Barque dans l’arbre, improbable esquif, nous offre salutairement des lectures stimulantes, sans grands discours ni fioritures, juste pour la joie claire du texte.

 

Hugo Pradelle