À teste d’or : L’Ouroboros n° 1

S’il cherche des explications sur le sens du serpent qui se « mord » la queue, le lecteur de cette revue d’un jaune éclatant les trouvera aisément en quatrième de couverture. L’ouroboros est vieux de quelque 4 000 ans, il est présent en Chine antique, chez les Aztèques ou encore en Égypte et devient tout naturellement un symbole alchimique. Ainsi : « Il parle de totalité (son corps bouclant l’unité du divers donné), de croissance et de vie, il annonce l’Éternel retour nietzschéen qui ne garde que l’affirmatif. » Voilà, comme le précise l’édito d’Odile Nguyen-Schœndorff (directrice de la publication) et de Yann Serra (rédacteur en chef), qui annonce la couleur (c’est-à-dire le jaune) : un jaune d’or, un jaune brûlant, baroque et de cette teinte honnie et parfois réfléchissante choisie par ceux revêtant le gilet protestataire.

 

 

Si la visée explicite de L’Ouroboros affirme une « exigence d’utopie » appelant à ce que tout – oui, rien moins que tout – change, la revue n’entend pas pour autant s’en tenir à promouvoir un ou des discours dénonçant un « contexte délétère » au plan social et politique. Qu’est-ce qui circule au juste dans ces pages et au fil des six chapitres de cette publication lyonnaise ? Des textes poétiques, en vers, en prose, des exposés philosophiques (sur la transe chez les Anciens et jusqu’à Thomas Mann, sur Possession de Żuławsky), des œuvres plastiques (Frédéric Khodja ou Marjolaine Larrivé), des critiques de livres ou de films. Mais selon la salutaire confusion des fonctions (d’héritage marxiste puis surréaliste), un(e) philosophe peut être poète (Odile Nguyen-Schœndorff ou Yann Serra) et un peintre peut fort bien être… insaisissable. Il faut insister ici sur la « collaboration surréelle » de Jean-Claude Silbermann dont un dessin bruissant nous accueille dès la couverture du numéro ; nous découvrons ensuite, tout au long de cette livraison, un très énigmatique et ironique ensemble d’encres de Chine de 2019 intitulé Une voie limpide.

 

À la page 17, l’un de ces dessins a pour titre « Presque tout se tient chez nous ». Il s’applique parfaitement à cet Ouroboros dont la tenue n’est pas étrangère à une figure artistique et intellectuelle « totémique » (selon le terme de l’édito) célébré au chapitre troisième : Max Schoendorff (1934-2012). Peintre « avant tout », mais aussi inventeur de décors pour Roger Planchon, Jacques Rosner au théâtre ou Jean-Marie Straub au cinéma, il a en outre fondé en 1978 l’URDLA (Utopie Raisonnée pour les Droits de la Liberté en Art), située à  Villeurbanne « où il sauve avec d’autres artistes comme Madeleine Lambert, un atelier promis à la casse pour en faire un atelier de création lithographique inouï et unique en Europe » (p. 74). Max Schoendorff reprend donc la parole dans L’Ouroboros, grâce à quelques-uns de de ses amis. Fabrice Pataut pointe subtilement Quelque chose dans son sourire et Jean-Claude Silbermann dialogue en toute liberté avec son fantôme. Avec L’Ouroboros le bulletin trimestriel de l’URDLA qui s’intitulait Ça presse trouve en quelque sorte un prolongement de même esprit, moyennent un total changement de peau. Mais on ne peut clore cette présentation très sommaire sans annoncer que L’Ouroboros a déjà connu une nouvelle mue, puisque le numéro 2 « aux oreilles d’argent» est paru depuis la fin avril.

 

Jérôme Duwa