Le premier numéro d’Artichaut

 

Quel drôle de titre que celui-ci. Filant la métaphore, à l’instar de Effeuillage (revue de critique des média), l’on pourrait s’attendre à du feuilletage de textes très courts, poésie ou autres, de page en page : eh bien non. Pas seulement.

 

Il faut considérer ce premier numéro comme un bourgeon, une envie collective de fonder et de nourrir une petite communauté qui, de numéro en numéro, le constituera, l’artichaut. La figure tutélaire est Georges Didi-Hubermann, qui évoque Pier Paolo Pasolini, dans Survivance des lucioles. Chaque texte sera accompagné d’une proposition autre, d’accompagnement ou d’amplificateur, d’une musique à écouter ou un lieu à visiter… Trois pages rouges recueillent l’édito qui précise les intentions de Justine Grandjard, directrice de la publication. Il explique également la thématique, vaste et ambitieuse (l’achevé d’imprimer est daté de janvier 2017) : « révolutions », sans majuscule, et dont les promesses sont plus ou moins tenues. Mais c’est une revue de littérature, pas de débat ou de politique.

 

Ce rouge n’est pas de sang, ni de drapeau. Ce serait un porphyre sans les grains. Prune. Ou mieux : aubergine (un légume !), et qui réapparaîtra deux fois, en intercalaire, seule couleur hormis quelques nuances de sépia ou de jaune-brun qui soulignent les chimigrammes de Fanny Béguély, artiste invitée, peintures sur papier photosensible, réunies dans un cahier d’illustrations qui semblent parfois photos, parfois calligrammes, parfois traces hasardeuses d’averse de pluie acide sur une plaque quelle qu’elle fut…, et que l’on retrouve en couverture, recto verso sombre et beau, hiératique mais est-ce du chou-rouge en noir et blanc, ou du cristal de poison, cyanure ?

 

 

Artichaut s’annonce comme une revue de création littéraire. qui propose des nouvelles plus ou moins courtes, des poèmes au long cours ou calligramme sur une page (Marion Brun), aux inspirations très diverses : un monologue intérieur (André Txenavila), un beau poème de Raphaël Sarlin-Joly (on peut y lire « car les villes endormies rêvent de barricades », et se finit par « Je t’aime »), des nouvelles glaçantes de politique-fiction (Alexis Piat, Joseph Sainderichin), « Un long poème français » de Raphaël Peirone est tout cela à la fois, et autre chose ; et encore la belle évocation d’Hester Bateman, orfèvre anglaise du XVIIIe siècle dont on ne sait pas grand chose…

 

Ces auteurs constituent les prémices du collectif à venir, de l’artichaut donc, semences. La plasticienne est invitée : à quoi ressemblera donc le second opus, tant l’aspect visuel est fort ? Faisons confiance au goût de la directrice, et au talent de la graphiste, Mélissandre Pyot, pour prolonger le plaisir du travail accompli, du rythme maintenu malgré les différents statuts, du bel objet protégé de son rabat.

 

Une autre invitée s’est glissée dans ces pages : vous la reconnaîtrez. Elle paraît pour conclure, dans sa traduction et en américain, et son nom évoque et promet : Cristen Hemingway Jaynes, pour le très beau « Jardin de roses » (fleurs ambiguës dont la beauté menace), la nouvelle se retient, ne va pas jusqu’au pire, monologue d’une femme qui parcourt Macon (Georgie – Amérique du Nord), cherchant des avenirs possibles dans ces lieux qu’elle visite.

 

Artichaut est très belle, riche de promesses !

 

Yannick Kéravec