« Vous avez dit paysage ? » : Les Cahiers de l’École de Blois/15

 

Ce numéro 15 des Cahiers de l’École de Blois sera le dernier dirigé par Jean-Christophe Bailly qui a cessé d’enseigner dans cette structure dédiée au paysage depuis septembre 2015.

 

L’auteur du Dépaysement (2011), dont on sait par ailleurs toute l’implication dans la vie des revues, est parvenu au fil des livraisons à faire de ce lieu éditorial un carrefour de la pensée du paysage où se retrouve quelque chose des intuitions de Novalis attentif à l’inconcevable « diversité de la nature » (voir Les Disciples de Saïs dans J-C Bailly, La Légende dispersée, Christian Bourgois éditeur, 2001).

 

Cette diversité exigeait à n’en pas douter une pluralité de perspectives à laquelle ces cahiers n’ont pas dérogé depuis leur fondation, si l’on en juge par la liste des contributeurs publiée en fin de volume : nombreux sont les professionnels de la nature, jardiniers, architectes, philosophes, historiens, artistes, etc. à avoir côtoyé les travaux de fin d’étude de jeunes ingénieurs paysagistes. Et il faut insister sur ce point capital, puisqu’il s’agit d’une revue d’école dont l’une des vocations est de publier les travaux d’étudiants tout nouvellement promus. Ce type d’attention, habituellement étrangère au mandarinat universitaire, suppose par principe un intérêt à l’égard de la mue générationnelle des sensibilités, des modes de réception et de compréhension. Ainsi, les projets ici proposés nous font entrer dans quatre enquêtes paysagères et leurs enjeux : en territoire agricole dans la vallée de l’Aronde (Oise), en zone périurbaine saturée près d’Orly, au bout du monde dans la torrentielle vallée du Giffre (Haute-Savoie) et sur la ligne Maginot en pays de Bitche.

 

 

Cette pluralité d’approche a inspiré le questionnement de ce numéro : « Vous avez dit paysage ? » Perplexité ? Plutôt renouvellement profond d’une notion qui ne parvient pas encore tout à fait à se soustraire à son acception réductrice de patrimoine végétal. Pourtant, comme le relève Jean-Christophe Bailly dès les premiers mots de sa présentation : « Le paysage est désormais partout ».

 

Paradoxalement, cet élargissement, ce changement d’optique auquel le futur directeur de la revue, Olivier Gaudin, apporte sa contribution dans un article sur « le grand paysage » est peut-être la conséquence des menaces accrues qui se concentrent sur le paysage, dont on persiste à méconnaître les interactions vivantes tant géographiques qu’humaines.

 

Depuis le grand remembrement des années 60 et l’effet des tracteurs plus puissants que ceux filmés en son temps par Eisenstein, l’appréhension directe du paysage historique est assurément perdue (P. Boucheron) ; mais, comme nous le rappelle l’historien, cela ne justifie en rien d’oublier combien un environnement est redevable du travail des hommes. Le paysage est le lieu d’inscription d’une humanité à l’ouvrage ; mieux, à la peine. Loin d’un tout façonné esthétiquement et replié sur soi, il est le tissu de relations aux noeuds inextricables. En empruntant à Leibniz son expression relative à l’espace et en y adjoignant un terme de prédilection du paysagiste Bertrand Folléa, on pourrait dire qu’il est l’ordre de coexistence des lisières. Rien n’y est étanche, tout circule, travaille de concert et glisse d’une route à une espace planté en passant par une zone d’habitation, une rivière, des reliefs…

 

La dimension politique du projet paysagiste élargi au monde devient alors patente, si l’on prend en considération que son rôle est d’agencer prudemment la complexité des frontières entre la diversité des sites et des territoires. Le jardin et son enclos protecteur sont loin derrière nous. On ne commettra pas la faute de rêver d’y retourner. Un poète (Juan Laurentino Ortiz), un écrivain (Patrick Deville), un photographe (Thibaut Cuisset) et les paysagistes de ces Cahiers nous en dissuadent aisément, tant s’annonce intriguant l’horizon en mouvement des paysages à venir.

 

Et puis, le Cendrars des poèmes élastiques, celui Du Monde entier, nous avait prévenu :

 

Le paysage ne m’intéresse plus

Mais la danse du paysage

La danse du paysage

Danse-paysage

Paritatitata

Je tout-tourne 

 

 

Jérôme Duwa