Blink Blank : l’animation en action

 

 

La bien belle Blink Blank est à mettre entre les mains de tous ceux que le cinéma d’animation intéresse un peu, beaucoup, passionnément. Et quand bien même on ne connaitrait rien de rien à ce domaine, il y a là, dans ces 160 pages richement illustrées, de quoi susciter la curiosité (l’appétit vient en lisant, n’est-ce pas…). Apparemment (nous ne sommes pas d’éminents spécialistes de la chose), il n’existait pas de publication régulière en langue française sur cet univers en perpétuelle expansion – on allait dire explosion. De fait, la créativité du film d’animation explose. Comme le dit Jacques Kermabon, ex-rédac’chef de Bref, la revue du court-métrage, et désormais aux manettes de celle-là, « cette branche multiforme du 7ème art » ne s’adresse plus seulement, loin s’en faut, au jeune public. « La polyphonie du cinéma d’animation » (dixit le même) est telle dorénavant, sa plasticité si importante, qu’il fallait un endroit, donc cette revue, pour faire entendre les voix qui lui donnent vie et montrer tous ses visages. D’ailleurs, Blink Blank aurait tout à fait pu chiper le sous-titre de notre sacro-sainte Revue des Revues puisqu’elle traite aussi bien de l’histoire que de l’actualité des films appartenant à ce genre-là.

 

« Le Tombeau des lucioles » d’Isao Takahata

 

La publication n’aurait sans doute pas vu le jour sans l’association des Éditions Warm et de la Nef Animation (qui a plus que largement contribué à faire connaître les Studios Ghibli en France au tournant des années 2000), auxquelles s’ajoutent la Cinémathèque québécoise, dirigée par Marcel Jean, par ailleurs délégué général du Festival d’Annecy. En page 51, on peut d’ailleurs voir l’affiche de la prochaine édition de cet événement (15-20 juin) et les chiffres qui sont indiqués dessus illustrent la diversité du milieu : 12 300 participants, 914 exposants, 92 pays, 414 journalistes. À travers ces quelques données, tout ou presque est dit : le secteur de l’animation est un écosystème mondialisé, ses acteurs toujours plus nombreux et la reconnaissance critique est en bonne voie… Mais revenons un peu plus au contenu de la revue. Il est à double entrée, histoire et actualité, disions-nous. Cette approche à double détente nous vaut de lire aussi bien des historiens que des praticiens, d’écouter des théoriciens mais également des techniciens. On pénètre dans les coulisses, on se glisse dans les imaginaires des uns et des autres, grands noms (Takahata Isao, Michael Dudok de Wit…) ou faiseurs en devenir. Problématiques plastiques et narratives se croisent et s’éclairent. Du cartoon, genre par excellence de l’outrance burlesque, dont l’époque des Looney Tunes figure sans nul doute l’âge d’or, aux créations plus contemporaines qui offrent souvent « un point de vue documenté » sur le monde (pour citer Jean Vigo), les contributions remontent le temps tout autant qu’elles décryptent le présent de la scène animée…

 

Norman McLaren dessinant sur film en 1944 / Archives du Canada

 

Si je peux, pour finir, témoigner un peu de ma propre (et modeste) expérience en la matière, je dois reconnaître avoir été impressionné par Valse avec Bachir, Les Hirondelles de Kaboul ou encore Parvana et Le Parfum d’Irak ; de singulières découvertes à chaque fois, de beaux moments vécus comme spectateur. Ces longs-métrages, parmi d’autres qui m’ont enchanté, ont une capacité à dire le réel qui va à l’essentiel sans sacrifier jamais la nuance ou la complexité. La force, je crois, du cinéma d’animation, c’est qu’il est accessible au plus grand nombre mais qu’il reste exigeant avec lui-même, esthétiquement, techniquement et, disons, moralement. Ah on allait oublier : si la revue s’intitule Blink Blank, c’est en clin d’œil à l’une des œuvres-maitresses – Blinkity Blank – de Norman McLaren, pionnier de l’animation directe sur pellicule avec ce film qui obtint la Palme d’or du court-métrage en… 1955. Que de chemin parcouru depuis ! Et surtout – oui, surtout – que de chemins défrichés…

 

Anthony Dufraisse