Bouclard n° 1 : Embarquez !

 Le titre peut déconcerter, vu du mauvais côté, de fermeture, de désinence négative. Mais l’on nous apprend qu’il s’agit d’une librairie, en argot. Cela tombe bien : l’illustration de couverture nous montre des livres, dont s’échappent des fumées… méphitiques, inquiétantes ? Ou sont-ce des nuages échappés du paysage en abime ? L’on nous promet de bibeloter, on nous parle de PAL (Pile-à-Lire), et de TOC irrépressible.

Mais j’arrête d’être négatif, et il vous faudra franchir cette couverture (non pas qu’elle soit rebutante) pour entrer dans cette revue « gonzo littéraire ».

À feuilleter, Bouclard est riche de reproductions, photographies, documents. Mais les photos sont intrigantes. Celle de la page 46 parlera surtout aux messieurs, qui accompagne une courte page « saugrenu[e] et philosophique », deux œuvres de Hubert Marécaille. Et il y en a d’autres en réserve : une affaire à suivre. Une illustration originale due à Julia Wauters à la toute fin introduit une version déchirante du Lièvre et de la tortue, en deux pages, traduction de l’américain par Maxime Le Dain de Amelia Gray. Et vers le milieu, un texte manuscrit est reproduit sur deux pages, un souvenir mélancolique accompagné d’un dessin témoignant lui aussi d’un moment de vie : il s’agit de Delphine Bretesché. Voilà pour la littérature.

Le gros de la revue est occupé par des articles, enquêtes ou documents, qui proposent d’aborder la littérature par ses lieux, ses histoires, ses témoins.

« Bibelot » a-t-il à voir avec « biblio » ? Car « Dans cet article, on va vous bibeloter ». Pourquoi pas, une ballade plaisante et légère dans une brocante ou foire aux livres ? « La bibliothèque des hantises » que l’on doit à Philippe Baudouin nous présente un lieu étrange, chargé d’histoire(s), l’Institut Métapsychique International, à Paris. Un institut centenaire, reconnu il y a un siècle d’utilité publique par Raymond poincaré. Et l’entreprise est tout à fait sérieuse, qui rassemble nombre d’ouvrages d’étude et de documents, sur les phénomènes tels que fantômes, télékinésie, poltergeists, manifestations médiumniques… propres à exciter les imaginaires. Les photographies (que l’on doit à une jeune photographe croisée sous d’autres casquettes, Emmanuelle Corne) rendent compte de la distance entre ces deux dimensions de fantastique des sujets, des archives photographiques… et de banalité des lieux – austères étagères grises où se rangent tous les monstres ; d’étrangeté de documents manuscrits (les dossiers de M. Couette…) et de normalité du traitement bibliographique.

Les articles se complètent d’une présentation de l’auteur et de propositions de lectures bienvenues.

Le second article aurait pu proposer la première biographie par Maria Lluisa Borras parue en 1996 aux éditions Place, ou Pas Maintenant, magnifiquement édité par Cent Pages (2014). Mais la littérature autour de Arthur Cravan, personnage, poète-boxeur britannique écrivant en français, et présenté comme dadaïste, précurseur, dandy et scandaleux, s’est étoffée depuis. Alors direz-vous, pourquoi un article de plus ? Parce que c’est un texte amoureux d’un fantôme, échos d’une vie évoquée par Nicolas Zeisler, boxeur/écrivain/journaliste vivant comme son modèle à Barcelone où il traque les traces encore tangibles du sportif. Les photographies d’archives montrent le poète dans sa pleine maturité physique, avant le combat de sa vie contre Jack Johnson, en 1916. Toute une ambiance est ressuscitée.

Un témoignage vient parachever l’ensemble : Clémentine Mélois nous narre son introduction en Oulipo, jeune auteur•e [c’est moi qui ponctue] qui est accueillie par Paul Fournel alors président de l’aréopage : un mail l’y convie. Son récit s’accompagne de photographies de numéros de la Bibliothèque oulipienne (BO), de courrier dactylographié signé Georges Perec, d’une photographie de groupe en 1974 (14 personnes dont une seule femme, Michèle Métail). Cette invitation est complétée de rencontres avec Paul Brafford, dit L’Ancien, qui se propose de lui transmettre ses archives oulipiennes dont la collection complète des BO.

« Le 4 mai, deux mois plus tard, L’Ancien est mort. »

Encore un fantôme qui nourrit nos appétits de littérature et permet les transmissions.

Boucle bouclée ? Plutôt ouverture vers le large : la revue est faite à Nantes, et le paysage de la couverture du livre en couverture nous mène en haute mer. Embarquez !

 

Yannick Kéravec

Coordonnées de la revue