
Le cahier d’une association d’auteur pointe des lieux dans un espace déterminé ou mouvant, local ou mondial. À feuilleter leur numéro 11-12, Les Amis de Jean Guéhenno emmènent le lecteur de Montolieu (lieu de vacances pour Jean Guéhenno, avec Jeanne Maurel) à Fougères (lieu de naissance de l’écrivain et de la grève de 1906-1907), de Montpellier (où l’on écoute utilement, aujourd’hui, le maire de la ville, Michaël Delafosse, parler de sa pratique républicaine) à New Delhi (où Jean Guéhenno, en novembre 1961, rendit hommage à un autre écrivain, le bengali Rabindranath Tagore). On ajoutera des extraits de la correspondance entre Jean Guéhenno et Maurice Genevoix, parue à la Part Commune (2025), un texte de Maurice Nadeau sur La Foi difficile (1957), des lectures, c’est-à-dire des relectures, d’Alain. Ce n’est pas concession à l’anecdote, mais inscription d’une œuvre et de sa lecture dans l’espace réel.

Si l’on cherchait dans ce Cahier Guéhenno un fil directeur, on trouverait l’engagement des historiens Jean-Pierre Rioux et Michel Winock, le second rendant hommage au premier, en faveur de la laïcité, avec ses efforts de définition, la nécessité de sa défense, la modestie de sa pratique, l’humilité de son observance. La presse y est constamment présente, comme signe d’infusion de l’œuvre dans la société, gage de réalisme et de lien avec les lecteurs. Entre patrons et gendarmes, les oppositions trop faciles y sont contestées, comme les invraisemblables calomnies formulées contre Jean Guéhenno dans le cadre, qui n’en était pas un, de la guerre froide. Les ambiguïtés de la notion de mobilité sociale, probablement suremployée aujourd’hui contre l’Éducation nationale, sont interrogées et levées. Toujours bien loin des polémiques, la question de l’enseignement n’est jamais effacée. On le voit, le clair engagement est encore le meilleur antidote contre l’érudition.
Ce n’est pas chez les lecteurs de Jean Guéhenno que l’on chanterait les paroles du chœur, dans Bellérophon, petit-fils de Sisyphe, assassin de Belléros, et personnage-titre d’une tragédie mise en musique par Lully : « Le malheur qui nous accable / Demande un dieu favorable. / Entends-nous grand Apollon ! / Par la défaite du serpent Python, / Par l’éclat de ta gloire / Qui suivit ta victoire, / Viens nous secourir ! / Hâte-toi, sauve-nous, / ou bien nous allons périr. » On y est moins charmeur et moins intéressé, plus laïc, plus adulte et plus actif, plus responsable que cela.
Bernard Baillaud