Conséquence n° 2

Impossible d’élever la moindre objection. Conséquence répond parfaitement à son titre programmatique. Comme l’explique en préambule Paul Laborde, co-directeur de la publication avec Victor Martinez, le numéro #1 interrogeait la manière d’écrire des philosophes en questionnant la conjonction entre le style et l’existence. Réponse : un hiatus.

 

Quant à ce numéro #2, il tire donc la conséquence d’un écartèlement entre les deux termes du problème pour s’établir, à bonne distance du regard analytique, sur le terrain d’expérience de la poésie d’aujourd’hui ou d’il y a peu.

 

Un texte inédit, une splendeur à susurrer d’André du Bouchet issu du fonds d’archives du poète conservé par la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, donne en quelque sorte le la de tout le volume : « la mort est à mettre au monde ».

 

La mort oui, mais à réinventer, chacun de ces jours que Du Bouchet nomme « sans lèvres », à délivrer comme un don du côté de la lumière au lieu de l’enfouir dans le tombeau et la finalement reposante croyance en la perte : cette mort neuve, s’avère sans doute assez éloignée de notre idée ou notre sens traditionnel du tragique comme de la détresse. Elle sonne autrement avec le musicien pour qui elle est la « véritable et parfaite amie » (Mozart). Voilà donc pour le compagnonnage de haute lignée de cette trajectoire poétique conséquente. Et ensuite ?

 

Leopoldo Maria Panero (Fissile éditions)

 

Ensuite, le numéro se construit en trois moments empruntant leur titre respectivement à Antonio Gamoneda, Esther Tellermann et Leopoldo Maria Panero : sentinelle de la neige ; allons plus bas et poèmes pas d’amour.

 

Il vaut la peine de faire la connaissance de Jorge Pedrero grâce à Gamoneda (et son traducteur, en l’occurrence comme pour beaucoup des textes ici présentés, Victor Martinez) : c’est lui, l’ouvrier verrier, peintre et suicidé au temps de Franco qui, au lieu de se rendre à son travail par une journée hivernale, demeure devant le paysage gelé à sa porte : il n’avait rien de plus urgent à faire que de « prendre soin de la neige ».

 

Faire la sentinelle pour tout ce qui est menacé, pour tout ce qui est étouffé, c’est aussi d’une autre façon, la préoccupation de Choman Hardi, rescapée de l’Anfal, le génocide perpétré contre les Kurdes en Irak (1988) ou de L’abri Tipton, poète américaine, dans ses Calais postcards. Son texte sur la méthode à suivre pour détruire ses empreintes digitales dit sèchement à quel point le désir de disparition peut rejoindre celui de vivre à tout prix pour un migrant.

 

On ne peut espérer trouver le repos dans la section suivante de la revue, mais lit-on sérieusement pour autre chose que la recherche d’un vacillement. Le bas, on le sait au moins de source athéologique, demeure attirant, par exemple en compagnie d’un inédit de Guy Viarre (1971-2001), reliquat d’une expérience du LSD sous forme solide, peu de temps avant son suicide. Le poète de Pire a fait partie de la revue Moriturus (2002-2005) publiée par Fissile, maison d’édition en grande affinité avec Conséquence et beaucoup des auteurs ici représentés. Figure tutélaire pour la génération de jeunes poètes de cette livraison, Bernard Noël libère les images terrifiantes du Tombeau de Lunven ; des images d’un corps fracassé, à la tête en bouillie, un corps fantôme qu’il n’a pas vu et dont il n’a pas pu faire autrement pour en « tuer les images » que de les laisser affluer avec un entêtement cauchemardesque.

 

La revue s’achève en faisant quelque peu retomber la tension par plusieurs chants qui ne sont pas d’amour, mais néanmoins non dénués de sensualité (Rodrigue Marques de Souza) ou d’humour. Signalons particulièrement à cet égard, l’étonnant Leopoldo Maria Panero (1948-2014) traduit par Cédric Demangeot, poète clé des éditions Fissile.

 

Du même C. Demangeot, relevons la formule : « Par brèves crises d’hyperprésence / on se croit sauvé ».

 

Conséquence contribue, à coup sûr, à précipiter ce genre de crises, malgré tout salutaires.

 

Jérôme Duwa