Critique d’art : le fil vert comme fil rouge

 

Récemment j’ai fait l’acquisition de tout un lot de Critique d’art, une douzaine de numéros datant du début des années 2000. Si le format n’a pas changé (toujours 14 x 21), la présentation et la pagination ont, elles, évolué, l’objet ayant clairement gagné, avec le temps, en lisibilité et en allure : hier austère, la conception graphique, par ses partis-pris aussi bien sur la couverture qu’en pages intérieures, a aujourd’hui un vrai relief ; elle accroche l’œil et on apprécie. Feuilleter ces anciennes livraisons c’est l’occasion, par exemple, de relire l’édito du no 20 (automne 2002, il y a vingt ans donc), signé à l’époque par Christophe Domino. Voilà ce qu’il écrivait : « Au-delà de son rôle d’outil de bibliographie critique d’actualité, évidemment précieux, la revue produit un véritable travail critique… sur la critique, serait-ce même en creux, en permettant des passages entre champs disciplinaires et méthodologiques, entre enjeux, entre écritures. Architecture, photographie, supports technologiques : histoire formelle ou contextuelle, destins de l’image et situations sociales de l’art : la cohabitation, ici, est productrice. » Le propos vaut toujours, et la revue, parfois très pointue (ce qui, soyons francs, la rend assez difficile d’accès aux profanes), préserve en son sein cette matricielle cohabitation féconde des regards croisés. Si l’on en vient maintenant au présent no 57,  on aura un petit aperçu de cette fertilité des points de vue sur l’art en train de se faire. Le fil vert – le souci de l’écologie, disons – peut faire ici office de fil rouge. Cette dernière livraison nous invite ainsi dès son éditorial à reconsidérer la notion de saison(s). Comment les conséquences de l’activité humaine sur l’environnement amènent les artistes d’aujourd’hui, et d’abord occidentaux, à réfléchir à la représentation des temporalités climato-météorologiques, c’est l’une des questions que nous semble poser cette introduction. Dit autrement, la perception d’un écosystème bouleversé infuse et influence l’esthétique contemporaine et, au-delà, incite à repenser la vieille symbolique des cycles.

 

C’est ce même fil conducteur que tire l’architecte et historienne de l’art Rute Figueiredo dans sa contribution, à la lumière, cette fois, de la notion d’exposition. Tout comme les pratiques artistiques, les approches curatoriales (en quoi elles sont, elles aussi, créatives) ne sauraient faire l’impasse sur « les actuelles préoccupations urbaines, écologiques et sociales ». Le rôle des biennales, dans ce contexte, est de créer des conditions de monstration des œuvres, installations et performances au sein desquelles s’expérimentent de plus en plus de « nouveaux cadres de la sensibilité ». Ailleurs le portrait consacré à la suisso-canadienne Susan Schuppli illustre à sa manière, là encore, la convergence grandissante, ou plutôt l’influence réciproque, de la science et de l’art au prisme de la problématique écologique. Évoquant notamment une récente expérience de captation sonore des glaciers en mouvement au nord de l’Inde menée avec d’autres par Schuppli, l’enseignante et chercheuse à Genève Doreen Mende parle d’un travail de « recherche/création » qui se donne comme un « tissu interconnecté mêlant science, droit, matière, technologie et déclarations publiques »…

 

 

Pour finir, et bien qu’il ne se rattache pas à la trame écolo que l’on a suivie ici pour parcourir la revue, on voudrait également signaler l’essai très personnel que la française Georgia René-Worms consacre à José Leonilson (1957-1993). L’artiste brésilien décrivait en ces termes son approche du geste artistique : « Ce que je fais dans la vie, c’est de prêter attention aux choses – peu importe leur nature – et de rassembler les informations. » C’est aussi, en un sens, le propre du travail de recherche tel que l’envisage Georgia René-Worms, elle qui sans cesse capitalise sur la subjectivité de son regard pour problématiser et intellectualiser son rapport à l’art et aux artistes. D’ailleurs, à bien y réfléchir, le propos du Brésilien pourrait assez bien résumer la dynamique à l’œuvre dans l’ensemble du travail que mène collectivement Critique d’art, numéro après numéro. L’attention aux choses, la tension entre les choses…

 

Anthony Dufraisse