D’Ardèche, d’ailleurs et d’ardeur : Faire part n° 38/39

Dans quelle mesure l’écriture – ou toute autre intention artistique (peindre, photographier, dessiner…) – peut-elle coïncider avec telle ou telle terre d’élection ? Dit autrement, le lieu élu peut-il se traduire exactement dans et par le geste créatif ? Peut-on, ce lieu, en restituer la pleine présence ? Il me semble qu’il s’agit de cela avant tout dans cette nouvelle livraison de Faire part qui a pour thème « Le lieu exact »*. La recherche d’une correspondance entre soi et le monde est au cœur de ce numéro. Et en parlant de cœur, précisons d’emblée que l’épicentre en est d’abord l’Ardèche. Cette géographie phare est le point de départ de ce nouveau Faire part. Géographie essentielle, principale, mais non exclusive. Le parc naturel régional des Monts d’Ardèche n’est pas seulement périmètre mais tremplin tout autant. À géométrie variable  – on allait dire géographie variable –, la revue élargit la focale en direction du Nord, tout là haut (avec Lucien Suel, par exemple, à travers les collines de l’Artois), ou bien plus au Sud, ou vers l’ailleurs encore (si on pense au travail de l’artiste japonais Kôichi Kurita, ce collectionneur de poignées de terre). « Échappées », nous dit-on en sous-titre, à partir ou autour de la ligne de partage des eaux, ce tracé entre le mont Gerbier-de-Jonc et Saint-Laurent-les-Bains qui fait l’objet depuis l’été 2017 d’un parcours artistique que jalonne une demi-douzaine d’installations d’art contemporain. Échappées, donc ; on pourrait tout aussi bien dire en-allées, explorations, déplacements, traversées, vagabondages. À l’œuvre à chaque fois, entre mots et images, « une vision ouverte », pour citer Kenneth White, le plus écossais des Ardéchois, ou inversement. Toujours se manifeste l’intention des uns et des autres (il y a une soixantaine de contributeurs au sommaire) d’arpenter « un vaste espace poétique ». De le rêver, de s’y laisser dériver.

Si un lieu peut exister, c’est peut-être d’abord et avant tout parce que sans cesse il exalte nos sens et donne un sens à l’existence. Textes et photos ici réunis racontent ainsi l’expérience des lieux qui comptent, les attaches avec un quelque part dont souvent on se détache pour y mieux revenir (« Mais revenir est une autre aventure », comme dit Guy Goffette cité en exergue des poèmes de Serge Bonnery). La « matrice utérine » (Françoise Fressonnet) est permanente matière première.  « Il y a des mémoires en soi que jamais le temps n’efface car elles sont écrites à même le corps et l’âme, elles songent dans la langue » (Sylvie Fabre G.). La mémoire, cette terre féconde à retourner pour l’aérer. Le territoire des montagnes ardéchoises offre donc des pistes de cheminement (comme celui de Marie-Claire d’Aligny en duo complice avec un âne) ou de réflexion (Anne Cauquelin interrogeant la nature philosophique de la notion d’exactitude).

Chemin faisant sur près de 300 pages, des paysages seront cartographiés, radiographiés, scénographiés. Se donnera, simplement esquissé ou plus fouillé, un imaginaire hydro-topographique, géologique, poétique, artistique, etc. Qu’ils soient vus d’en haut ou d’en bas, l’Ardèche et ses au-delà suscitent visions, perceptions, contemplations, sensations. Et toujours avec ardeur. Bref, il se dit un art de vivre ici ou là, à l’arrêt ou en mouvement, en quête d’une plus ou moins exacte concordance avec ce qui palpite autour et au dedans de soi.  « Cette relation particulière que nous entretenons avec ce qui s’ouvre et respire » (Olivier Domerg).

 

Anthony Dufraisse

 

Coordonnées de la revue

 

* Un libellé qui n’est pas sans faire écho à la notion de « vrai lieu » chez (et chère à) Yves Bonnefoy. À ce propos je renvoie à ce qu’écrit Jean-Michel Maulpoix commentant L’Arrière-pays : « … le vrai lieu se situe à l’improbable et chimérique intersection du réel et de l’irréel, de l’ici et de l’ailleurs, du relatif et de l’absolu : il constitue une expérience du sens au sein même de la contingence, un point de contact entre le concept et le réel, un seuil, une expérience de l’entrouverture, un espace et un instant qui font seuil… »